Chapitres 9-12Le roman : Les Chants de LossLivre 2

10- La Rage

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— Raconte-moi alors : comment es-tu arrivé sur Loss, si tu t’en souviens ?

Duncan était penché sur Lisa, elle-même assise en tailleur sur un tapis épais dans un coin du bureau des médecins de l’hospice. Depuis la veille, elle avait enfin la permission de se lever et quitter le lit. Si les premières heures avaient été un peu difficiles, elle avait l’équilibre encore mal assuré et devait gérer quelques vertiges, cela allait bien mieux. Depuis son réveil, elle accompagnait le vieux physicien, qui avait commencé par lui montrer ce qui avait pour la jeune femme des allures de trésors : sa bibliothèque. C’est ainsi penché sur un livre qu’il avait retrouvé Lisa après sa visite matinale des patients du jour.

Elle stressait un peu, la moue inquiète, fixant l’épais ouvrage posé devant elle. Elle n’eut pas le temps de répondre à la question de Duncan qui examinait son épaule et pouvait sentir sa mal son angoisse. Il reprit :

— Tsk tsk, cesse d’être apeurée ; tu as ma permission pour lire tout ce que tu voudras ici, Anis. Les ouvrages que tu ne dois jamais toucher sont sous clef, tu ne risque donc pas de faire une bêtise.

Lisa répondit d’un hochement de tête, la moue penaude, ce qui fit rire le vieux médecin :

— Tu as une bouche pour répondre. Prends ton temps, mais tu avoueras que c’est plus pratique pour discuter si tu en uses, non ?

Le rire fut mutuel, cette fois-ci. Lisa se détendait toujours plus facilement et acceptait aisément la proximité de Duncan, qui avait vite compris d’une part comment procéder pour rassurer la jeune femme, d’autre part qu’il pouvait considérer cela comme un petit privilège. Lisa avait une peur des hommes presque phobique, et même sans l’avertissement de Jawaad, il avait pu le constater de lui-même.

— Je… j’avais peur que… que toucher à vos affaires ne vous mette en colère, maitre. Je… je sais que… en fait je ne sais jamais ce que j’ai permission de faire ?

— Tout ce qui n’est pas une bêtise évidente, ou qui peut abîmer mes affaires, mettre le feu ou encore provoquer un accident. Et bien entendu rien qui pourrait gêner les personnes libres de mon hospice : il te suffit pour cela de les éviter avec politesse et respect. Azur a trouvé ses marques ici, tu les trouveras à ton tour. Ton épaule guérit bien ; je pensais t’implanter rapidement le symbiote que Jawaad a choisi pour toi, mais il m’a dit vouloir le faire lui-même. Tu vas cependant pouvoir commencer à aider un peu aux tâches ménagères… si bien sûr tu t’ennuie de lire ?… Mais tu ne m’as toujours pas répondu, Anis.

Comment Lisa était-elle arrivé sur ce monde ? Elle se souvenait à peine des dernières semaines de sa vie terrestre ; elle avait simplement encore le souvenir de ce suicide lent et programmé qu’elle avait embrassé à bras le corps, tandis que défilaient les seringues d’héroïne à ses veines tellement usées qu’elle avait commencé à se piquer à la cuisse.

— Je… je prenais…. des… des drogues. Je ne connais pas le mot pour la chose que je prenais, mais cela me tuait à petit feu. Quand… quand je me suis réveillée dans une petite cage, la première fois, au fond de… d’une cave sombre, je pensais que je venais de mourir, et que c’était… l’après.

— L’après ?… L’après-quoi ?

— L’enfer. La vie après la mort. Cela… cela n’existe pas chez vous, maitre ?

— Ho !… Non, pas tel que les terriens qui m’en ont parlé y croient en tout cas, Anis. Nous venons des étoiles. C’est des étoiles que les lossyans ont mis le pied sur ce monde, c’est d’elles qu’ils naissent avant de pousser leur premier cri à la vie, et c’est vers elles qu’ils repartent à leur mort. Si l’âme a été vertueuse toute sa vie, si elle a fait preuve d’honneur, de courage, de sagesse, alors elle prend place dans les étoiles parmi tous nos ancêtres, sous la protection du Concile Divin qui règne sur la voute céleste. Mais l’ascension est ardue ; si l’âme n’a pas été assez vertueuse, elle peut ne pas avoir la force de s’élever et elle retombe. La nuit, les étoiles filantes sont ces âmes qui en tombant s’embrasent et disparaissent à jamais dans le néant. La notion d’un monde qui punit de mille souffrances les pécheurs, les êtres sans vertu, nous échappe. Il y a cependant d’autres croyances, plus barbares ou hérétiques où cela existe. Peut-être les Hemlaris ont-ils un enfer pour leurs criminels, mais je ne m’y connais guère, et leurs croyances sont condamnées par l’Eglise.

— Et… et vous, maitre… vous y croyez ?

— Y croire est un grand mot. Je suis un savant, j’aime comprendre, et me poser des questions, et on dit que les étoiles filantes sont en fait de petits rochers flottant dans la voute céleste et qui retombent sur Loss en s’illuminant de flammes tant leur chute est rapide. Mais j’aime pourtant à croire que nos vertus sont importantes et que sans elles, nous n’iront jamais vers les étoiles. Mais ce que je crois n’est guère important pour toi. Par contre, tu te dois de respecter ces croyances et de ne jamais montrer que tu crois en autre chose ou que tu doute, devant les personnes libres. Ici, comme à Armanth, tout le monde croit en l’Eglise, peu ou prou et celle-ci ne tolèrerai pas qu’une esclave prétende croire autre chose qu’en ses Dogmes. Tu aurais de très gros ennuis, et ton maitre aussi, tu comprends ?

Lisa répondit en hochant la tête, ce qui fit encore rire Duncan, qui reprit avec patience :

— Un « oui, maitre » serait mieux, mais tu vas t’y faire. Tu t’es donc crue dans un monde de souffrances et de punitions ?

— Oui, maitre.

— Tu vois que tu y arrives ! Oui, je comprends aisément que tu aies pu l’imaginer au vu des premiers temps qu’endurent les Terriens perdus qui survivent à notre monde. Tu n’as aucuns souvenirs clairs de ce qui s’est passé quand tu es arrivé sur Loss, c’est cela ?

— Non maitre. Je me souviens juste… de cette cage, de la cave, du manque de drogue, et d’avoir été malade à vouloir en mourir des jours entiers, en croyant que…. que j’étais morte et que ce qui arrivait était une punition.

— Tu crois en ces choses ; l’enfer, la vie après la mort ?

Lisa fit non de la tête, et ne répondit pas de suite, fixant songeuse le livre ouvert devant elle, qui abordait l’anatomie humaine.

— Je… non… non, maitre. Mais ça y ressemblait tant que… que c’était difficile de croire à autre chose. Je… je n’ai vraiment admis la réalité que… que depuis peu. Quand… quand j’ai commencé à comprendre que ce monde n’est pas peuplé que… que de monstres.

Duncan lâcha un rire en se redressant, fixant tendrement la jeune femme.

— Ni plus, ni moins, je pense, de monstres que sur le monde où tu es né. Mais des coutumes et des lois plus rudes, et qui sont cruelles pour une jeune Terrienne rousse née libre dans un monde sûrement plus tendre avec les femmes que le notre. Mais la douceur, l’amour, la compassion, et les moments beaux et chaleureux existent autant pour nous que pour toi.

Lisa acquiesça :

— Je le sais… je…. je commence à le voir, maintenant, maitre. Ca… ça ne peut… me consoler de tout ce que j’ai vécu…. du sort réservé à ma sœur. Et du mien. Mais…

— … Mais tu commence à comprendre que l’espoir n’y est pas vain, n’est-ce pas ?

— Oui… mais… je ne sais toujours pas lequel…

***

— Eïm le Voyageur ?!

Jawaad fit un de ses habituels signes de tête à peine discernable en réponse à la question de Damas, avant d’écarter de son visage une de ses nombreuses mèches rebelle que le vent secouait trop. La Callianis filait à bon train en remontant le fleuve, à plus de dix mètre au dessus des berges.

— Tu dis donc que je me serai battu avec Eïm le Voyageur, l’Immortel, le Tueur de Draekyas ? Celui que cent personnes à travers le monde prétendent avoir tué et qui, dit-on réapparait toujours sans jamais aucune blessure ou cicatrice ?

Jawaad esquissa un sourire et fit un second oui de la tête à peine visible :

— Tu as donc éventuellement tenu tête à une légende vivante. Je ne l’ai jamais rencontré, mais il correspond assez aux descriptions les moins fantasmées qu’on fait de lui.

— Et tu ne m’as rien dit ?

— Avant ton duel, je n’avais pas de raison de me poser la question. Après, c’était une information qui ne t’était plus utile.

— Et pourquoi tu me le dis maintenant ?

Jawaad répondit d’un regard au sourcil amusé. Damas éclata d’un rire bref

— Je vois… pour rire de la tête que je fais à apprendre la nouvelle ! C’est réussi !

Damas s’agrippa un bref instant au bastingage. Une rafale de vent venait de donner une courte embardée à la Callianis qui dévorait les milles à pleine vitesse au dessus des champs, des villages fortifiés et des prés de la vaste plaine fluviale.

— Pour revenir à plus sérieux… enfin non, ton pari n’est guère plus sérieux que mon duel avec Thanlan, enfin Eïm, si tu as raison. Mais Erzebeth nous a devancés. Son Défiant est un sacré galion et son équipage n’est pas manchot. Alors c’est quoi ton idée derrière la tête ?… Parce que je serai prêt à parier sans risque de perdre qu’il n’est pas question pour toi de te mettre au service d’une femme et de ses caprices pour toute une journée, ait-elle attiré ton attention à ce point là.

— Tu vois juste. Nous sommes sur son terrain. Elle connait les reliefs et les courants, où et comment tirer les voiles. Mais elle ne connait pas la Callianis.

— Sur mer, je suis d’accord. La Callianis aurait toutes ses chances, mais son galion a beau être lourd, de ce que j’ai vu, il a au moins six moteurs à loss. Il se tient léger sur les airs et son équipage connait son affaire. Et comme tu le dis, elle connait tous les vents et les reliefs ici. Elle a du nous prendre trois heures, et poursuit son avance à mon avis. C’est quoi ton idée ?

Jawaad ne répondit pas, il se contenta d’étaler la carte des plaines sur le gouvernail et montrer à son second un vaste massif boisé que la Callianis atteindrait au soir. Damas conclut immédiatement.

— Elle va devoir le contourner en longeant le fleuve et ses méandres. Les arbres dépassent forcément les dix mètres, aucun navire lévitant ne passerait.

— Oui. Aucun qui n’ait été prévu pour cela.

— Sauf que la Callianis peut s’élever à presque quinze mètres, en restant stable, elle.

Jawaad acquiesça.

— Et tu avais bien choisi le parcours quand tu lui as proposé ce défi, n’est-ce pas ?

Jawaad esquissa un sourire en coin :

— J’ai déjà remonté le fleuve, il y a quelques années.

Damas lâcha un sourire à son tour, bien qu’un peu gâché par une ecchymose à la mâchoire :

— Tu n’avais aucune intention de prendre le moins risque de perdre ce pari. C’est presque trop facile ; elle va perdre son avance à contourner ce massif toute la nuit et au matin, elle ne pourra qu’à peine voire nos voiles devant elle à la lunette. Si elle les voit ! Alors, comment vas-tu profiter de ta victoire, hm ?

— D’une manière qu’elle appréciera.

— Tu savais que tu ne perdrais pas, Jawaad. Et tu aurais tout aussi bien pu te moquer de ses propos dans l’auberge. Alors pourquoi l’avoir poussé au défi ? Elle te plait ?

Jawaad ne répondit pas de suite, repliant la carte pour savourer le thé qu’il s’était préparé, avant qu’il ne refroidisse. Les esclaves du bord, Azur et Sonia, avaient été laissées en ville. Bien que dans le cas de Sonia, c’est surtout parce que Damas ne l’avait pas retrouvé au matin du départ. Non qu’il s’en soit inquiété, mais cela l’avait agacé : elle connaissait l’ordre de ne pas le quitter d’une semelle et il se promettait de le lui faire payer à son retour.

— Erzebeth est intéressante. J’apprécie les femmes intéressantes.

Damas lâcha un rire, avant de finir sa coupe. Il profitait d’un verre de vin de Mélisaren, plutôt réputé dans ce domaine :

— Quand tu dis cela, c’est qu’une femme t’a tapé dans l’œil et que tu as décidé qu’elle sera à toi !

Jawaad n’ajouta rien, Damas le connaissait bien, il savait donc qu’il avait raison, et il n’y avait pas à épiloguer.

***

Lisa se glissa timidement dans les grandes cuisines du rez-de-chaussée de l’hospice, où travaillaient une demi-douzaine de personnes, dont Azur, chapeautés par le maitre des lieux, un bonhomme gras et rougeau dont on aurait pu s’étonner ailleurs de l’hygiène irréprochable. Lisa avait dévoré les livres les uns derrière les autres depuis le matin, mais elle culpabilisait de ne servir à rien et s’ennuyait un peu dans le silence des bureaux de Duncan. Elle ne se faisait toujours pas à l’absence quasi totale de musique, si omniprésente chez elle, sur Terre.

Azur l’accueillit en lâchant son épluchage de légumes, pour se précipiter vers elle tout sourire :

— Anis ! Mais que fais-tu là ? Tu es encore blessée !

— Je… je voulais me… me rendre un peu utile…

La voix grave du chef de cuisine interrompit Azur :

— Les malades ne bossent pas aux cuisines, petite ! Alors si tu veux rester, tu te mets dans un coin, tu regarde et tu laisse travailler les gens ! Allez, au boulot, ici, on se bouge !

Il y avait avec Azur les esclaves de l’hôpital qui faisaient le service du midi pour les patients, ainsi que les aides du cuisinier. La psyké lâcha un sourire rieur à vers le chef des lieux, en acquiesçant joyeusement :

— Oui, maitre ! Voilà, vient avec moi, Anis et tu nous regarderas cuisiner ; n’hésite pas à me poser des questions, tu va commencer à apprendre !

Lisa emboita de suite le pas d’Azur. Trois seaux étaient pleins de légumes tuberculeux, et si la jeune terrienne supposait que certains devaient être des carottes, ou tout du moins y ressemblaient beaucoup, elle n’aurait pas pu donner de nom aux autres. Il y avait peut-être des patates, mais elle les trouvait d’allure bien étrange. Bien sûr, la psyké comprit de suite : à défaut d’être aisée à lire et percer en profondeur, Lisa avait un visage si expressif qu’il lui était enfantin d’en capter les interrogations de surface.

— C’est le moment de commencer tes premières leçons sur la cuisine. Les choses rondes et grises, avec des petits tubercules, c’est des qasits.

— Comme… des pommes de terre ?

— Je ne sais pas ce que sont les pommes de terre, mais c’est une bonne manière de les appeler, oui. C’est un peu sucré et on peut les rôtir, les frire, ou les faire bouillir pour accompagner les ragouts, ou dans la soupe. Mais il faut bien les nettoyer et les éplucher.

— Et… ça, ce… ce sont des carottes ?

— Oui, celles-là sont rouges; il y en a des blanches, des vertes et même des noires. Les blanches et les noires, on doit les faire cuire pour les manger, mais les autres, crues, c’est bon, on en garnie les salades.

Lisa loucha sur le petit couteau court qu’Azur employait pour éplucher les légumes. C’était aux antipodes de ce que pouvait être un économe, et de toute manière Lisa n’avait vraiment jamais tenté d’apprendre à cuisiner. C’était le truc d’Elena, mais même elle préférait les plats préparés, les conserves et les fast-foods.

— Je vais te montrer ! C’est facile, il faut juste apprendre à être précise et ne pas se couper. Si tu fais des copeaux trop épais, le cuisinier sera fâché et tu gâcheras des légumes. Regarde !

Joignant le geste à la parole, Azur se mit à éplucher méthodiquement, sous le regard de Lisa qui suivait ses gestes et s’évertuait à retenir la technique. La psyké était précise et habile ; et elle riait, amusée de faire la professeure. C’était peu commun pour elle de se retrouver en cuisine sauf pour donner un coup de main en cas de grand afflux. Sa tâche était d’accompagner et suivre Jawaad partout où il allait sauf exception, et au domaine, la cuisine était souvent bien assez fournie de personnel. Et puis c’était un peu le terrain réservé à Joran.

— Tu aides aux cuisines… tu fais d’autres, heuuu… corvées aussi ?

Azur devina de suite le sens caché de la question, mais elle fit comme si de rien n’était :

— Oui, bien sûr, c’est notre rôle, tu sais, de nous occuper des tâches ménagères. Et puis nous sommes assez nombreux pour que cela ne soit pas bien fatiguant. Ici, j’aide aux cuisines, au ménage, à servir les libres…

— Et on… heu… personne ne te demande… heu… rien de plus… intime ?

Azur se tourna avec un regard tendre sur Lisa. Elle avait bien entendu vu juste immédiatement :

— Tu t’en effraies ?… Nous ne sommes pas dans une maison de plaisirs ou un Jardin des Esclaves. Et j’appartiens à Jawaad. La propriété, c’est une chose que tout le monde respecte. Ici, seul Duncan pourrait me demander de rejoindre sa couche et a permission de notre maitre de m’utiliser pour son bon plaisir. Et il ne l’a pas fait. Seul un fou userait de nos corps sans en avoir demandé le privilège à notre maitre. Tu n’a rien à craindre, Anis.

— Per…personne ne va… vouloir alors, heu… nous utiliser, ni toi, ni moi ?

— Pas dans l’hospice en tout cas. Et en dehors, il n’y a guère plus de risque si nous sommes un tant soit peu prudentes. Mais je t’encourage quand même à ne pas quitter l’hôpital sans être accompagné d’une personne libre, petite sœur. Tu es jolie, et une rousse aux yeux verts est une rareté qui donnerait des envies à certains hommes malavisés de te voler à notre maitre, pour te garder pour eux… ou te revendre fort cher !

Azur éclat de rire devant la moue à la fois de crainte et de soulagement que fit Lisa à cet instant, ce qui valut aux deux jeunes femmes un grognement mécontent du cuisinier.

— Tu es un peu étrange pour une petite languiren sortie d’un Jardin des Esclave ! Ne t’en fais pas, je le sais, cela se voit comme le nez au milieu du visage que tu n’es pas vraiment faite pour les plaisirs des hommes. Notre maitre te gardera pour lui, et ne te prêtera que quand il sera sûr que tu lui feras honneur.

— Je… j’espère… que… que ça n’arrivera que le plus tard possible.

Azur répondit en ébouriffant la chevelure de feu de sa jeune consœur :

— Cela arrivera quand tu commenceras à montrer que tu apprécie que cela puisse arriver, alors cesse de t’angoisser à ce sujet. La psyké lui tendit le petit couteau, et une carotte : Tiens, tu veux essayer ?

— Heuuu…

Le résultat ne fut pas exactement brillant. Azur avait attrapé un autre couteau et poursuivait sa corvée tout en regardant faire Lisa, qui ne s’y prenait pas si mal, mais à une vitesse qui demanderait à ce rythme une ou deux bonnes journées pour vider le panier. Son bras en écharpe ne l’aidait pas à être habile ou efficace, mais ce n’était pas le but. Elle souriait. Elle n’en avait peut-être pas vraiment conscience, mais à cet instant, elle était détendue et calme, dans une cuisine remplie de monde, bruyante et animée. Une cuisine où un chef braillait toutes les trois minutes, et où des hommes allaient et venaient à moins d’un mètre d’elle. Ho, Lisa sursautait et avait encore des regards angoissés et craintifs. Mais elle souriait et pour la psyké, il était évident que malgré sa tristesse, elle reprenait véritablement goût à la vie.

La leçon fut interrompue quand Lilandra déboucha dans la cuisine, hélant les deux jeunes femmes :

— Azur, Anis, venez avec moi, j’ai besoin de vos bras. Puis se tournant vers le cuisinier : Je vous les emprunte pour la journée, Desisios. De toute manière vous avez bien assez d’aide, n’est-ce pas ?

Le cuisinier grommela quelque chose qui devait être un « oui, madame » suivi de jurons étouffés. Qu’il soit d’accord ou non, il n’allait pas défier le médecin, princesse en titre des Aklimidès, alors que lui-même n’avait qu’un prénom pour toute particule et que sa famille logeait à l’hospice par la générosité du maitre des lieux. Azur attrapa la main de Lisa, lui retira son couteau, et l’entraina vers Lilandra :

— Oui, maitresse, nous vous suivons.

Celle-ci tira un sourire, mais elle ressortait déjà, en soulevant l’épais amoncellement des précieux jupons de sa robe noire et or, sachant très bien que les deux esclaves lui emboitaient le pas. Elle se tourna vers elles quand le trio franchit les limites de l’allée couverte :

— Nous allons faire des courses ! Je suis en panne de kumat, mon garde-manger est atrocement vide et mon serviteur est au chevet de sa fille.

Azur pencha un peu la tête de coté, tandis que Lilandra se dirigeait vers le portail de l’hospice, au fond de la cour :

— Est-elle malade, maitresse ?

— Non, rien de cela, elle accouche. Mais Venandh se rongeait les sangs d’attendre, je l’ai renvoyé près d’elle. Azur, il y a deux paniers, tu les porteras. Anis, tu nous aideras un peu et tu nous accompagneras mais je t’interdis de porter quoi que ce soit. De toute manière, je ne vais pas vous changer en baudets.

Lisa, qui talonnait de près Lilandra et Azur, pour sa première sortie hors de l’enceinte de l’hôpital, posa timidement la question qui la préoccupait et qui fit éclater deux rires en réponse :

— C’est… c’est quoi…. du kumat ?

***

Abba se demanda un bref instant, l’esprit embrumé, ce qui venait de le réveiller désagréablement. Le temps d’émerger du sommeil, il constata que d’une part il faisait nuit noire, car de lourds nuages masquaient pratiquement tout Ortentia, et que d’autre part, Joran se tenait au dessus de lui, le visage inquiet. Elle avait tiré sur une de ses tresses pour le sortir de son sommeil. Voilà bien une chose qu’elle ne ferait jamais et qui aurait pu lui valoir, elle le savait, une punition désagréable.

Abba n’étant pas idiot se dit immédiatement qu’il y avait quelque chose d’important pour que son esclave le réveille ainsi en pleine nuit. S’il avait encore eu un doute, le fait que Joran fasse chut avec le doigt, avant de murmurer à l’oreille de son maitre acheva de mettre l’esclavagiste en mode vigilance extrême :

— Mon maitre…. il y a des bruits. Je crois que des gens sont en train d’entrer par les terrasses…

Le géant noir fronça les sourcils, et repoussant un peu Joran, se redressa sur sa couche, tournant la tête dans la pénombre vers la terrasse ouverte. Il entendait bien quelque chose, perplexe au fait que les chiens du domaine n’étaient pas en train d’aboyer férocement contre des intrus.

Il n’eut pas le temps de se poser plus de questions : une ombre se dessinait derrière les voiles légers des tentures de la fenêtre, tentant d’approcher tapie et discrète. Abba ne vit pas d’arme apparente mais il ne se posa pas plus de questions. On osait s’introduire chez lui et son sang ne fit qu’un tour. Oubliant son genou blessé, il se rua vers sa cible, qui n’eut pas le temps de réaliser qu’elle était chargée par un colosse frôlant les cent-cinquante kilos : elle fut attrapée promptement par l’arrière de la tête, puis projetée contre la plus proche colonnade. Le bruit mat que fit le front casqué de l’intrus en percutant le marbre fit frissonner Joran, cachée de l’autre coté du lit.

Elle cria. Mais pas de peur. Une autre ombre fonçait sur Abba, qui se maudit de son imprudence : forcément ils allaient par deux, il aurait du y penser !

Le géant noir était nu, désarmé et handicapé par son genou blessé. Il attrapa l’homme qu’il venait d’assommer avant que ce dernier ne finisse de s’affaler au sol et le balança devant lui tel un vulgaire sac de jute, en guise de bouclier improvisé. Il hurla vers son esclave :

— Réveille tout le monde ! Vite !

A un étage de là, Alterma avait capté le cri de l’esclavagiste. Il aurait fallu être sourd pour ne pas l’entendre : tout le monde dans la villa de Jawaad devait être en train de se réveiller. Elle ignorait la nature du cri, mais comprit de suite qu’il y avait péril imminent en voyant que deux hommes longeaient discrètement la terrasse mitoyenne à ses appartements. Elle remercia silencieusement les Etres du Concile que toutes les fenêtres du rez-de-chaussée soient pourvus de barreaux, et se faufila hors de sa chambre en attrapant au passage une ombrelle, dont le solide manche de bois pourrait tenir lieu d’arme improvisée.

Dans le grand hall qui s’ouvrait après une volée de marches sur l’entrée principale de la villa, il faisait nuit noire, et Alterma n’entendit pas un bruit. Des cuisines, la porte s’ouvrit timidement sur une fine silhouette que la comptable reconnut sans mal. Elle siffla doucement pour attirer son attention. C’était Améria, une des filles du Jardin des Esclaves d’Abba, suivie de près par Airain qui tenait fermement un large couteau de cuisine.

— Pas de bruits, suivez-moi !

— Maitresse, que se passe-t-il ?

— Des gens tentent d’entrer dans la maison, je n’en sais pas plus que vous.

— Il ne faudrait pas rejoindre notre maitre ?

Alterma fit un non de la tête, tandis qu’elle poussait les deux filles à retourner dans la cuisine :

— Comme il a crié, ce n’est pas la meilleure des idées. On va à la cave !

— Mais…pourquoi faire maitresse ?

— Parce que Raego va nous être utile. Si on attaque la maisonnée, nous sommes finies vous et moi !

Les deux filles suivaient Alterma en robe de chambre, filant vers les escaliers menant au sous-sol de la villa. Airain fermait la marche, de toute évidence prête à en découdre si jamais elles étaient attaquées :

— Maitresse, comment lui faire confiance ?

— Je ne sais pas qui veut s’attaquer à la Maison de Jawaad, mais celui qui ose a forcément prévu ne pas laisser de survivants. Et je suis sûr que Raego a envie de vivre autant que toi et moi. Fermez la porte !

La comptable n’attendit pas vraiment de savoir si les deux esclaves la suivaient. Elle n’avait pas pensé à prendre une chandelle, mais les couloirs souterrains menant au cellier et aux réserves étaient ornés à intervalles de petites dalles de Mellia bleu, qui fournissait une luminescente suffisante pour ne pas avoir à tâtonner. Depuis les incidents qui avaient conduit Jawaad à apprendre qu’il avait un ennemi déclaré au sein de l’Eglise du Concile, et à prendre quelque distance avec Armanth le temps que l’Elegio et la justice des Pairs ne statue sur les événements, Raego était enfermée dans un des réduits de la cave. Un emprisonnement qu’Abba avait, contre toute attente, veillé à rendre relativement confortable. L’espion avait été soigné par un bon et discret médecin de ses contacts, une couche agréable lui avait été aménagé, il avait de quoi boire et manger et comme il en avait réclamé et s’était montré fort coopératif, il avait même quelques livres et du nécessaire d’écriture pour s’occuper.

Raego fut tout de même surpris de voir débarquer dans sa cellule Alterma en robe de chambre, flanquée de deux esclaves de toute évidences effrayées, dont une armé d’un couteau de boucherie. Il lorgna sans gène sur les trois femmes :

— Heuuu… si c’est pour venir me tuer en pleine nuit, j’avoue que je m’attendais à autre chose… Pas que je me plaigne hein ?

— Gardez vos commentaires pour vous, j’ai une proposition à vous faire, et cela presse !

L’espion fut soudainement toute ouï.

Abba avançait péniblement en boitillant et sautillant, maudissant son genou qui le trahissait au pire instant. Son énorme sabre Frangien à deux mains en bandoulière, il tenait en main son arbalète mécanique, et longeait le péristyle en terrasse du premier étage. Et laissait derrière lui des gouttes de sang. Il y avait eu de la casse, et il avait été touché au flanc, ce qui n’arrangeait guère sa douloureuse claudication. Il verrait plus tard la gravité de la blessure : il pouvait entendre au loin des cris et des appels effrayés qu’il soupçonnait être ceux des palefreniers du domaine, et plus près, des bruits plus étouffés venant des appartements de Jawaad. Il se demanda brièvement si Joran avait pu alerter tout le monde ou si elle n’était pas tombée sur des intrus.

C’était l’Eglise. Il n’en était pas tout à fait certain et il n’avait pas pris le temps d’aller vérifier en détail. Mais il était pratiquement sûr que la villa était prise d’assaut par des Ordinatorii, et il avait vaguement idée de pourquoi. Le géant ravala une bouffée d’angoisse à l’idée de commettre le sacrilège de tuer des représentants du Concile Divin : ils étaient chez lui, et hommes saints ou pas, ils venaient de commettre un crime eux aussi, qu’il leur ferait payer de son mieux.

Un coup d’œil rapide dans la pénombre lui assura que du coté du péristyle et des terrasses, il n’y avait nulle menace en vue. S’appuyant contre la double porte des appartements de Jawaad, il pu entendre qu’on était clairement en train d’y fouiller son bureau. Le géant savait ce que des Ordinatorii pouvaient espérer trouver chez son patron. Le maitre-marchand était le genre d’homme à collectionner les artefacts des Anciens et tous les traités interdits écrit sur le sujet ; de quoi, même à Armanth, faire peser sur sa tête le risque d’un procès en hérésie qu’il aurait du mal à gagner.

Le géant souffla lourdement, ce qui en général face à qui que ce soit n’était pas bon signe. Il se glissa de coté, observant toujours prudemment les alentours, jusqu’à atteindre une mosaïque murale en trois panneaux. Lâchant son flanc ensanglanté, il pressa sur un des motifs, ce qui fit coulisser dans un chuintement presque inaudible une porte dérobée qui, depuis les appartements de Jawaad, était dissimulée par une tenture translucide où l’on pouvait tout voir en ombres chinoises. Et comme il s’y attendait, trois silhouettes se trouvaient dans le bureau du maitre-marchand, deux d’entre elles fouillant avec une discrétion relative, maintenant que l’alerte avait été donnée dans le domaine, à la lumière tamisée d’une lanterne rouge, tandis que le troisième faisait le guet.

Trois intrus. Cela en faisait un de trop pour la stratégie d’attaque du géant. Voire dans son état, peut-être même deux de trop pour parvenir à les neutraliser sans prendre de risques. Mais il ne lui frôla même pas l’esprit l’idée de se replier et abandonner la maison à ces pillards, qu’ils soient Ordinatorii ou pas. Il se ferait abattre sur pied plutôt que de leur céder le domaine et fuir lâchement.

Levant sa lourde arbalète mécanique, il ajusta sa première cible. Elle ne verrait rien venir.

***

La stratégie de Jawaad avait réussi. Aux premières lueurs de l’aube, la Callianis était en vue d’Erasthiren, petit bourg fortifié bâti autour d’une douce colline verdoyante et plantée de vignes, à quelques milles des premières frondaisons que le voilier avait survolées toute la nuit. La cité douillettement blottie dans ses murs se devinait en nuances de pastels derrière les lourds bancs de brume matinale rampant mollement entre la forêt et le fleuve.

Damas bailla un grand coup et déplia sa lunette. D’ici une petite heure à son estimation, la Callianis pourrait se poser sur les eaux de l’Etéocle et s’amarrer au port d’Erasthiren. Il jeta un coup d’œil à la longue-vue par simple précaution, avant de sonner le premier quart du matin.

Et fronça les sourcils. Quelque chose n’allait pas.

Jawaad se réveilla immédiatement en entendant toquer de manière insistante à la porte de sa cabine. L’instant d’après, et habillé -il n’avait guère vu l’intérêt de se dévêtir la veille- il se retrouvait devant Damas :

— Hm ?

Celui-ci tendit la lunette à son ami, l’air grave.

— Faut que tu regardes.

Le maitre-marchand fronça un sourcil, mais ne posa pas plus de questions, se dirigeant vers le château avant, en ratissant de ses doigts sa tignasse noire emmêlée. Il ajusta donc la longue-vue pour observer vers Erasthiren. Cela dura peut-être une minute, avant qu’il se ne tourne sur Damas, l’air cette fois particulièrement grave en plus d’être comme de coutume maussade :

— Réveille tout le monde. Branle-bas de combat, fait distribuer les impulseurs et prépare une chaloupe de sauvetage. On va mouiller en plein fleuve, dans le courant, par précaution. Fait-nous descendre à six mètres du sol !

Damas fila sur le pont, et commença à crier ses ordres en faisant tonner la cloche de bord, ce qui eut pour effet de réveiller tous les hommes de repos dans un chaos un peu vaseux, mais qui ne dura pas. En quelques instants, tout l’équipage était armé et sur le pont et l’une des deux chaloupes de bord hissé contre le bastingage, avec trois volontaires prêts à se porter au secours de qui que ce soit. Et qui se demandaient tout de même bien ce qui pouvait se passer.

Mais alors que la Callianis filait vers Erasthiren dont le vent matinal chassait les brumes, la réponse vint d’elle-même se jeter à leurs yeux.

La ville était en feu.

***

Lisa avait des yeux ouverts grands comme des soucoupes, ce qui faisait rire Azur et afficher de grands sourires à Lilandra. La jeune Terrienne regardait partout, avec étonnement et curiosité, même si elle avait du mal à retenir quelques petits sursauts de crainte ou de surprise. C’était jour de marché, et Lilandra avait entrainée les deux esclaves qui se tenaient la main sur la grand-place encombrée de monde et surchargée d’étals qui envahissaient jusqu’aux ruelles alentours. A Mélisaren, la population était nettement moins bigarrée qu’à Armanth, mais, jusqu’ici, Lisa n’avait jamais vraiment pu observer de visu le monde où elle vivait désormais. C’était comme revivre un second choc culturel, mais cette fois-ci en y étant un peu mieux préparée que le jour où elle avait traversé la cité des Maitres-marchands à cheval avec Jawaad. Elle-même réalisait qu’elle pouvait au moins désormais raisonnablement gérer sa peur, et sans doutes était-ce parce que tout ce qu’elle pouvait voir lui était aussi étrangement familier qu’exotique. Les atours des hommes et des femmes vaquant à leurs courses, discutant les prix, s’interpellant à grands coups de harangues, s’apparentaient à ce qu’elle aurait pu décrire d’une scène citadine de la Renaissance qui se serait déroulé quelque part en Méditerranée. Ce qui différait particulièrement n’étaient pas les quelques autres esclaves, toutes reconnaissables à leur collier d’un seul tenant de métal, souvent du bronze et à des tenues courtes et nettement plus dénudées que les vêtements parfois lourds et couvrants des femmes libres, même en ce chaud matin de fin d’été, mais à leurs symbiotes, souvent visibles. Tous n’en portaient pas ; Lisa put estimer qu’une personne sur cinq ou six en arborait un visiblement. Il devait y en avoir plus, en comptant les symbiotes cachés par les vêtements. Les plus visibles avaient des allures de diadèmes précieux, semblant mêler la beauté biologique de fleurs précieuses et chamarrées, et l’éclat de métaux iridescents et de joyaux flamboyants ; les autres, le plus souvent arborés par des hommes, ressemblaient à des bracelets d’entrelacs raffinés et complexes courant de l’avant-bras à la naissance de la main. Mais il y avait aussi des symbiotes semblables à des boucles d’oreilles précieuses, et d’autre semblant être entrés en fusion avec la chevelure de leur hôte pour créer des filaments et des tresses chatoyantes jouant avec la lumière et les couleurs.

Lisa constata rapidement que plus les gens semblaient vêtus richement, plus il était fréquent qu’ils arborent un symbiote, et d’autant plus beau. Elle chuchota donc sa question à Azur qui lui répondit en souriant :

— Oui, c’est parce que les symbiotes coutent assez cher. Mais je crois que notre maitre m’avait dit un jour qu’environ une personne sur quatre en porte un quand même. Mais les plus jolis, on les appelle des Greatis. C’est ceux qui ressemblent à des bijoux, il faut être assez aisé pour en posséder un.

— Et ceux… à la cuisse des… des esclaves, c’est des Linci ? J’en ai vu une qui n’en portait pas.

— Oui, ce sont des Linci, mais eux aussi coutent assez cher. Alors certains maitres s’en passent, parce qu’ils n’ont pas les moyens.

— Et les Greatis… ils ont le même effet que… que les Lincis ?

Azur éclata de rire :

— Non, bien sûr. Ils soignent et protègent leur hôte seulement, mais ils n’ont pas d’odeur particulière qui attire l’attention des chiens. Les Greatis sont juste sélectionnés pour être de beaux bijoux. Il y a des symbiotes élevés pour créer des parfums permanents, les Jasmines. Mais c’est un luxe qui coute assez cher.

Lisa hocha la tête pour arrêter là ses questions, notant qu’elle se jetterait sur les livres de Duncan pour en apprendre plus sur ces étranges créatures qui vivaient avec les lossyans et dont elle porterait bientôt à nouveau un autre spécimen. Et alors que Lilandra s’arrêtait devant l’étal d’un épicier pour acheter du kumat, Lisa sursauta brusquement, surprise par des grognements stridents.

L’autre chose qui rappelait immanquablement qu’elle n’était pas sur Terre, c’était les animaux vendus au marché, sur pied. Depuis le début de leur visite, elle avait pu voir des cages où caquetaient poules et canards, mais aussi d’autres volailles qui n’avaient clairement pas grand point commun avec ce qu’elle connaissait sur Terre, ou éventuellement et avec une certaine imagination, des dodos ou des sortes de grosses pintades. Il y avait aussi des sortes de rongeurs marsupiaux à la fourrure courte, et au corps partiellement caparaçonné, que Lilandra avait appelé des Esqiris. Mais il y avait aussi des animaux d’agrément, principalement des oiseaux en cage, mais aussi des sortes d’insectes parfois de la taille d’une main, aux allures de papillons bioluminescents qui rivalisaient de beauté avec les Greatis, et des animaux qui firent songer à Lisa à un croisement entre un félin et une loutre, aux oreilles surdimensionnées et au dos partiellement couvert d’une armure aux couleurs éclatantes, qu’elle apprit se nommer les Loris.

Mais ce qui l’avait fait sursauter, c’était des Moras. Et si elle avait appris que cela semblait s’apparenter aux cochons de la Terre, face à eux pour la première fois, elle trouvait que la ressemblance n’était franchement pas si convaincante. Les moras évoquaient plutôt des sortes de gros phacochères gras et courts sur pattes, à la gueule pourvue de huit défenses, ici soigneusement limées, à la tête ornée d’un bouclier frontal effrayant, et dont toute la partie supérieure du corps semblait n’être qu’une armure osseuse si rugueuse qu’elle donnait l’impression que simplement la frôler vous déchirerait la paume. Ceux enfermés dans l’enclos étaient tous plus effrayants les uns que les autres, et la présence de solides cordes qui les entravaient ne paraissait pas superflue à la jeune femme. Mais apparemment, à part deux ou trois enfants en bas âge qui eux aussi fixaient ces bêtes avec fascination, elle était la seule qui semblait en avoir peur. Les badauds et les vendeurs discutaient autour des bêtes de leur prix et les tâtaient comme Lisa imagina qu’on l’aurait fait avec de simples porcs. Mais la comparaison s’arrêtait là. Ces animaux pesaient sans doute pour les plus gros plus de trois cent kilos, et faisaient les deux tiers de sa hauteur au garrot.

Lisa détourna vite les yeux au moment où elle réalisa qu’à quelques dizaines de pas de là, derrière l’enclos, se trouvait le carré d’abattage des bêtes, et que le grognement strident venait d’un mora suspendu par les pattes arrières, qu’on égorgeait au dessus d’un grand baquet où il se vidait de son sang dans un flot puissant et visqueux. Elle eut un haut-le-cœur immédiat et se détourna de suite pour aller se réfugier près d’Azur, qui avait observé elle aussi la scène, et sourit tendrement à la jeune femme sans commenter.

Lilandra venait de terminer son achat et se pencha en souriant vers Lisa, ouvrant sa main pour montrer de petits grains noirs, semblables à de l’avoine :

— C’est cela le Kumat, Anis. Tu peux sentir, l’odeur est très agréable.

Le parfum capiteux évoqua tout de suite quelque chose à Lisa, qui reniflait avec curiosité. Le mot, en français, lui échappa de suite :

— Du café ?

— Du… quoi ?

— Heu… il y a quelque chose qui… qui a une odeur très proche sur mon monde, maitresse. On le broie en fine poudre, et on le boit en décoction, bien chaud. Cela tient éveillé.

— Ho ?… Hé bien, c’est pareil ici. Le Kumat est un grain dont on fait des farines et des pâtisseries, mais qu’on peut aussi torréfier pour en tirer une boisson agréable et qui tient éveillé. Lilandra lâcha un rire en laissant les grains retomber dans le sac de son achat : j’en fais grand usage, trop selon Duncan.

Le médecin se pencha à nouveau sur Lisa, fronçant les sourcils, en murmurant :

— Mais plus jamais je ne dois t’entendre dire « mon monde », ou employer un mot de la Terre, en public, Anis. Tu demanderas à ton maitre pourquoi t’ai-je donné cet ordre, mais croit-moi tu regretteras l’erreur si jamais tu recommence.

Lilandra se redressa tout sourire, laissant Lisa à sa moue perplexe et un peu intimidée :

— Bien, j’ai presque tout ce qu’il me faut, nous allons faire le tour du marché pour vous laisser l’occasion de le découvrir toutes les deux, et faire quelques provisions pour ce soir. Vous cuisinerez pour Duncan et moi.

Lisa reprit la main d’Azur, et le duo se remit en marche, à travers la foule dense, en suivant Lilandra. Le marché se prolongeait encore vers la ville-basse, et au loin, Lisa aperçut des estrades où la marchandise mise en vente était cette fois-ci des hommes et des femmes. Les enchères y battaient leur plein autour d’un colosse aux traits fins et à la peau couleur de café, durement entravé. Il ressemblait un peu à Sonia, et Lisa devina qu’il devait être issu du même peuple. Il tirait vainement sur ses liens, le visage grimaçant de colère sourde. La jeune femme serra les dents en tremblant, et se réfugia prestement contre Azur pour venir se cacher, la faisant involontairement trébucher.

Azur lâcha un cri en basculant, pour venir s’effondrer un peu en vrac contre un homme de haute stature, vêtu de riches apparats noirs et blancs, comme le reste de la petite troupe qui le suivait, à l’exception d’une esclave tenue en laisse qui le talonnait, bien obligée, de près.

Lilandra lâcha un hoquet, mais elle n’eut pas le temps de retenir Azur. L’homme qui avait manqué tomber flanqua un impitoyable coup de pied dans les côtes de la psyké qui vint s’écraser aux pieds de la femme-médecin. Lisa allait hurler, mais son cri s’étouffa brutalement. Lilandra venait de lui saisir la chevelure sans pitié, et tirer violemment pour la faire tomber à genoux au sol.

— Veuillez pardonner la maladresse de ces esclaves, votre grâce, elles étaient distraites par mes paroles qu’elles écoutaient assidument !

L’Ordinatori, un prêtre-officiant de toute évidence, peut-être un prêcheur de légion, toisa avec mépris la femme-médecin, tandis que soudainement, dans le marché, la foule s’écartait dans des révérences serviles de la scène. Il n’y avait guère que quelques courageux ou curieux, à rester non loin.

— La faute en incombe à ta nature, femme, tu ne peux tenir des esclaves, aucune femme ne le peut ! Mais je vais te montrer comment on corrige l’insolence de ces animaux !

Lilandra tira plus brusquement sur la chevelure de Lisa, comme pour devancer toute rébellion de la part de la jeune femme. Le prêtre, qui tout à sa colère outrée tendait la main vers sa garde pour exiger un fouet sur l’heure, n’avait de toute évidence pas pris attention qu’il y avait à deux pas de lui une jeune fille rousse aux yeux verts. Et si la femme-médecin avait clairement expliqué à Lisa ce que cela voulait dire sur Loss, elle avait passé sous silences certains risques supplémentaires à la couleur si rare de ses cheveux. Comme la propension de l’Eglise à exiger régulièrement des offrandes de femmes rousses. Et à se servir parfois elle-même. Elle reprit à l’adresse de l’Ordinatori, affichant un savant mélange entre la noblesse de sa lignée, et l’humilité respectueuse nécessaire devant l’homme qui lui faisait face :

— Je ne puis que respecter votre décision, ô votre grâce, et vous remercier humblement de l’exemple que vous allez donner. Mais cette esclave appartient à un Maitre-marchand, Jawaad d’Armanth. Et il n’est guère coutume dans nos murs de châtier une esclave sans l’accord ou au moins la présence de son propriétaire.

Au vu du regard soudain curieux, bien que toujours noir de colère, du prêtre, Lilandra réalisa qu’elle venait sans doutes de dire une bêtise. L’homme tendit d’un geste sec la lanière du fouet qu’on lui avait fourni, après avoir jeté vers un de ses gardes la chaine de la laisse de sa propre esclave, qui était étrangement d’un calme presque apathique :

— C’est un nom qui ne nous est pas inconnu, femme. Mais ce Maitre-marchand t’a confié ces esclaves, tu en es responsable et tu en réponds, je n’ai donc nul besoin de quelque autre accord que ce soit !

Azur tentait de reprendre son souffle après le terrible coup de pied reçu. Elle fixait tour à tour et suppliante le prêtre et Lilandra, mais n’implorait pas. Elle savait que cela ne servait à rien. Son regard finit par se poser sur Lisa, tétanisé de terreur, les pupilles dilatées. La psyké fit un non de la tête, alors qu’elle pressentait que quelque chose allait se passer.

Lilandra frémit quand le prêtre posa brièvement un regard sur la fille rousse à ses pieds. Pendant une seconde, elle eut l’impression de tout le poids du châtiment divin du Concile en train de la juger, mais l’homme se contenta d’une moue de mépris hautain, « une rousse… », avant de se tourner sur le sujet de sa colère :

— Présente-moi ton dos animal, et remercie-moi de la leçon d’humilité que tu va apprendre !

Azur étouffa une plainte de terreur, en obtempérant pourtant. Elle savait parfaitement ce qu’elle risquait à ne pas obéir. Quoi qu’elle fasse, elle perdrait et le paierait un prix d’autant plus cher qu’elle tenterait d’y échapper. Sur les dix années depuis lesquelles elle appartenait, pour son plus grand bonheur, à Jawaad, jamais rien de tel ne lui était arrivé. Elle avait bien été fouettée deux fois auparavant, mais pour des raisons graves et elle y avait été préparée à l’avance. Et malgré la leçon cuisante, les coups avaient étaient retenus. Là, elle le savait, l’ordinatori serait sans pitié et son long fouet à lanière lui déchirerait sûrement la peau.

Lilandra était paralysée. Ne pouvant admettre de montrer une faiblesse à un instant si critique, elle fixait le prêtre de toute sa noblesse, aussi impassiblement que possible, en oubliant les regards de son escorte qui pesaient sur elle. Elle resserra encore ses doigts sur la chevelure de Lisa, plus par réflexe d’appréhension que pour s’assurer de la retenir.

Le premier coup siffla, avant de claquer sur le dos d’Azur, qui parvint contre toute attente à ne pas crier de douleur. Mais la lanière du fouet venait de déchirer sa tunique et laisser une marque sanglante. Elle avait le souffle coupé, et immédiatement des larmes de souffrance et d’horreur noyèrent ses yeux.

Lisa eut l’impression que le claquement du fouet faisait écho dans tout son être. Le bruit lui avait arraché un hoquet de nausée, et cette dernière grandissait. Comme si un serpent se nouait dans ses entrailles pour remonter à sa poitrine et sa gorge, elle ressentait soudain l’irrépressible besoin de laisser s’échapper un son de ses lèvres. Elle comprit immédiatement, presque intuitivement ce qui se passait. Car elle réalisa brutalement qu’elle ressentait avec une acuité terrible tout ce qui l’entourait. Et surtout la présence, comme une résonnance qui chantait à l’unisson de son esprit, du loss-métal. Il y en avait non loin. Sans même regarder, elle aurait pu montrer exactement où il se trouvait, et combien : quelques grammes, dans l’ensemble des lances-impulseurs de l’escorte du prêtre. Elle le ressentait qui commençait à vibrer avec elle, comme s’il voulait lui parler. Elle voulait Chanter avec lui. C’était presque irrépressible.

La petite foule amassée autour de la scène avait elle aussi tressaillie au coup de fouet. L’Ordinatori ne faisait pas semblant, et même les plus indifférents au sort des esclaves songèrent qu’il valait mieux qu’il n’y ait pas plus de cinq ou six coups de cette force, sans cela la victime risquerait de ne pas s’en remettre. Parmi les spectateurs, plusieurs gardes observaient sans chercher à intervenir. Le prêtre et son escorte faisaient partie de personnalités en visite arrivées au matin. Et ce qui se passait ne les concernait pas.

Cependant, leur présence arrangeait Sonia, qui se faufila avec aisance dans la foule pour rejoindre Lisa et Azur. Elle avait observé de loin la balade du duo avec Lilandra, et n’avait trouvé aucune raison de s’en mêler, plus occupée à rendre chèvre les hommes et les femmes autour d’elle en jouant de son érotisme sulfureux et provocant. Mais dès qu’elle avait vu l’Ordinatori décidé à punir la psyké, elle s’était approchée rapidement. Elle savait parfaitement ce que Lisa risquait de faire.

Le prêtre leva le bras pour un second coup, après avoir cruellement pris le temps de laisser sa cible endurer la douleur terrible et irradiante du premier coup. Sonia se faufila dans un mouvement contre la femme-médecin au même instant, pour plaquer vigoureusement sa main sur la bouche de Lisa au moment même où cette dernière renonçait à résister. Lilandra sursauta doublement. D’abord au second coup de fouet et au cri strident de souffrance qu’Azur ne pouvait contenir, ensuite à l’intrusion brutale de Sonia près d’elle. Cette dernière, penchée derrière Lisa en la bâillonnant toujours murmura à l’adresse du médecin :

— Navrée de m’en mêler, maitresse, mais dès que vous pourrez, filez avec ces deux idiotes. Je vais vous en fournir l’occasion.

Lilandra eut le temps d’ouvrir la bouche, les yeux ronds, désarmée par l’effronterie de Sonia, mais celle-ci, après un regard à dessein assassin vers Lisa, vint en un pas rejoindre la psyké, à l’instant où le prêtre levait le fouet plus haut encore pour frapper une troisième fois. Azur cria de terreur à l’arrivée du coup. Lisa se meurtrit la main en frappant le sol du poing alors que s’était éteinte l’impulsion qui avait voulu la faire Chanter. Mais le fouet ne toucha pas sa cible.

Sonia trembla de tout son être, dans une grimace partagée entre souffrance et extase, hoquetant violemment. Elle s’était volontairement interposée et venait d’offrir son dos nu, maintenant zébré de rouge, à la terrible lanière de cuir.

Son intervention sema un moment de flottement. Elle se retourna, faussement naïve vers l’Ordinatorii, avec un sourire :

— Oups ?

***

Deux de moins.

Abba pria brièvement esprits et divins de lui pardonner les meurtres de deux hommes saints, mais c’était plus un réflexe de prudente superstition que de dévotion sincère. Au défaut de les abattre à l’arbalète mécanique, il les aurait, s’il avait été en meilleur état, écrasés de ses mains nues. Le soucis, c’est qu’il était loin d’être au meilleur de sa forme et le troisième intrus dans les appartements de Jawaad était toujours vivant, lui. Ce dernier ne prit pas de gants. La balle de son impulseur défonça dans un grand fracas une partie du panneau derrière lequel Abba tentait de s’abriter, tandis que depuis les terrasses, le géant entendait courir vers lui la cavalcade des renforts des assaillants.

Cela commençait à sentir de plus en plus le roussi, mais il avait encore quelques surprises à réserver à ses adversaires. Un cri strident interrompit ses pensées : Joran, au rez-de-chaussée, courait à toutes jambes vers la cuisine, talonnée par deux intrus.

Le sang du géant ne fit qu’un tour. On osait attaquer sa maison, s’en prendre aux siens, et maintenant agresser et terrifier son inoffensive esclave. Sans plus songer ni à sa blessure ni à son genou qui le portait à peine, Abba sauta de la terrasse dans un hurlement de rage, son énorme sabre dans une main, l’arbalète mécanique dans l’autre. La colère du géant anéantissait toute douleur et toute hésitation, et les deux hommes n’eurent que le temps de s’étonner, alors qu’ils les chargeaient de front. Sans doutes des vétérans eussent-ils eut le temps de réagir et esquiver l’assaut, mais ils n’en étaient pas. Le premier fut tranché en deux par le sabre, le second déchiqueté par l’impact de l’arbalète mécanique qui se brisa contre son crâne.

Joran qui tentait de courir vers la porte des cuisines se tourna et cria :

— Mon Maitre !

Trois autres hommes dévalaient les marches des appartements du rez-de chaussée, et encore quatre autres arriveraient sous peu depuis la terrasse du premier étage. Ils étaient tous armés de longs poignards et de pistolets impulseurs. Abba savait exactement ce que cela voulait dire. Il ne s’en sortirait pas.

— Joran, court !

Il n’attendit pas de vérifier si elle obéissait à son ordre. Abba eut juste le temps de s’abriter derrière une colonne que les premiers tirs fusèrent. Une violente douleur le fit basculer de coté, en lui labourant le bras, mêlée à d’autres impacts. Il était mort, et il le savait. Il ne pourrait pas tenir seul tête à tant d’hommes, même s’ils se dispersaient, et même s’il avait été en pleine forme, et c’était loin d’être le cas alors qu’un voile rouge commençait à envahir son champ de vision. Prestement, il jeta l’arbalète démolie vers le premier groupe qui serait sur lui dans la seconde. Ce qui déclencha autre salve d’impulseurs. Abba songea qu’avec un peu de chance, au moins ses adversaires avaient tous vidés leur pistolet, et qu’il mourrait ainsi dans une dernière mêlée, et pas abattu à distance comme un chien.

Ils furent sur lui, mais deux des hommes du second groupe fonçaient vers les cuisines, et le géant n’y pouvait plus rien. Surgissant tel un énorme démon des légendes de derrière la colonne qui l’abritait, il frappa, aveuglément, dans des moulinets de son sabre colossal. Il y mettait tout ce que lui restait encore de rage et de force, tranchant et écrasant dans des gerbes de sang, mais cela ne suffirait pas, pas pour autant d’adversaires qui maintenant fonçaient eux aussi à la rescousse de leurs camarades.

Et l’un d’entre eux tomba net, contre toute attente, sans qu’Abba, aveuglé par l’inconscience qui le saisissait, et le sang qui lui trempait le visage, comprenne d’où cela venait.

Depuis la porte de la cuisine où gisaient deux intrus morts, Raego, éclaboussé de sang, fonçait s’abriter derrière une colonne, la main gauche chargée de longs couteaux de cuisine, dont un venait de faire mouche mortellement. Derrière lui, Alterma, cachée contre le montant de la porte repoussait Joran à l’abri, et mettait en joue avec un long fusil impulseur, tandis qu’Airain tentait d’extraire son grand couteau planté dans le poitrail d’un des deux cadavres.

Raego souffla un grand coup, fièrement :

— Bon, je ne suis pas si rouillé, après tout !

***

La Callianis toucha l’eau pratiquement au milieu du fleuve, et immédiatement son équipage jeta l’ancre. La petite ville qui abritait quelques milliers d’âmes, était à seulement deux cent mètres. Et c’était un spectacle de ravages et de désolation ; les flammes dévoraient toutes les maisons et s’attaquait aux structure du petit temple et des bâtisses de l’agora. Et partout, semblable à cette distance à des fourmis affolées, des gens courraient en tout sens en proie à une terreur indicible.

— Bordel, mais que s’est il passé ?

Damas tentait de déterminer une cause à ce chaos, observant à la lunette. Les foyers d’incendie dévoraient tout mais personne ne tentait de les éteindre. Il ne voyait aucune armée, aucune bande de pillard qui eut put être responsable de ces ravages, seulement des gens en proie à la terreur, fuyant un ennemi que Damas ne parvenait pas à identifier.

Jawaad était juste à ses coté au bastingage. Les fanions d’alerte avaient été hissés et Erzebeth, depuis son galion, avait déjà du les apercevoir. Ses voiles étaient visibles au sud, au dessus de l’horizon et elle rejoindrait la Callianis d’ici peu. Le Maitre-marchand observait lui aussi, tandis que sur la chaloupe, une poignée d’homme nerveux attendaient de savoir ce qu’ils devaient faire. Pour beaucoup, le spectacle de cette panique mortelle et de ces flammes dévorantes, même vu de loin, était difficile à soutenir.

— Damas, regarde vers les quais, à droite, le groupe serré qui tente d’embarquer sur une péniche.

— Oui, je vois… attends… mais ils se battent ? Ils se battent contre quoi ?

— Contre les leurs.

— Contre les leurs ? Ne me dit pas que c’est ?…

— La rage, oui.

Jawaad se redressa et se tourna vers le pont, faisant ce qu’il faisait rarement. Il cria ses ordres :

— Personne sans symbiote ne monte dans la chaloupe de sauvetage ! Que ce soit vous, ou ces gens ! Remontez l’ancre, et armez vos fusils, nous allons les secourir !

Un des marins comprit de suite, d’autres se demandaient ce qui se passait, certains commençaient à devenir clairement nerveux. Damas fixa Jawaad :

— Il faut leur dire.

Le Maitre-marchand acquiesça, mais répéta vers ses hommes son ordre avec une voix plus dure et noire qui ne souffrait pas de discussion.

— Nous partons sauver des survivants de la rage ! Tirez sans hésiter au moindre doute et que nul homme ou animal sans symbiote ne monte à bord ! Les Enragés sont condamnés, alors tuez-les sans regret !

Un des hommes à bord de la chaloupe en sortit précipitamment, soudainement blême, rapidement remplacé par un des canonniers de bord. La plupart des hommes de Jawaad avaient un symbiote, mais il savait que certains refusaient de vivre avec ces choses étranges que quelques obscures croyances disaient dangereux. Rapidement, l’ancre fut remontée, et la Callianis manœuvrée vers le port fluvial. Plus le voilier s’approchait, plus les détails du drame devenaient évidents. Environ trente personnes luttaient contre une masse désordonnée pour en protéger le triple, femmes en enfants entassés dans une péniche qui déjà alourdie de sa cargaison, tanguait dangereusement.

Tout le monde connaissait la rage sur Loss. De toutes les maladies épidémiques frappant les lossyans, elle était la pire. Elle envahissait insidieusement les communautés humaines en inoculant ses victimes à traves les contacts physiques, que ce soit humains ou animaux. Une petite plaie, un postillon, suffisaient. Et deux ou trois semaines plus tard, aucun autres signes avant-coureur que quelques fièvres, les animaux familier et les gens devenaient soudain pris de folie : la rage les rendaient violents, paranoïaques, délirants, ravagés par l’instinct de frapper et mordre leur entourage. Personne ne savait pourquoi la crise de folie semblait à chaque fois simultanée, comme si les Enragés se synchronisaient pour déclencher fureur et destruction. Mais par le passé, les Enragés avaient détruit des villes entières, des armées, et même mis fin à la grande Croisade de l’Eglise contre les Apostats, quand chaque camp en avait été réduit à se battre contre ses propres hommes pour simplement survivre.

Il n’y avait aucun remède, même si étrangement, les oiseaux et les mammaliens semblaient immunisés. Et la seule protection efficace pour les hommes était les symbiotes. Mais ceux-ci, en empêchant l’infection, mourraient souvent.

Damas ajusta ses poignards, regrettant ses récentes blessures qui l’incommodaient, et arma un grand fusil impulseur en se tournant sur Jawaad :

— Tu dois rester en arrière. Si jamais ton symbiote attrape la rage…

— Je sais. Fait-moi confiance.

Damas hocha la tête, mais son regard insistant tint lieu du reste de discours. Il retourna à la manœuvre pour rapprocher la Callianis de la berge, et quelques instants plus tard, le voilier longeait les quais du port d’Erasthiren. La chaloupe fut mise à l’eau, entrainant avec elle des amarres pour solidariser la Callianis et la péniche qui menaçait de chavirer. Les hurlements de terreur, les pleurs et les cris ne parvenaient pas à couvrir l’assourdissant vrombissement des flammes qui dévoraient toute la ville. Mais maintenant que l’équipage du voilier était au plus près de la scène, l’horreur leur sauta brutalement aux yeux. Jawaad n’attendit pas que la terreur saisisse ses hommes.

— Feu !

Quinze pistolets et fusils impulseur crachèrent leur balle de cuivre dans des éclairs bleus pour faucher aveuglément la première ligne des assaillants. Mais il n’y avait pas d’ennemi parmi les morts et blessés qui gesticulaient et tombaient dans les eaux du fleuve. Ce n’étaient que d’autres hommes, femmes et enfants rendus fous et agressifs par la rage, aussi terrifiés et impuissants que les hommes tentant de les arrêter. Certains des malades avaient saisis le premier objet qui pouvait leur tenir lieu d’arme pour se battre, mais la plupart avançaient comme une masse aveugle, frappant, griffant et mordant contre le petit groupe qui tentait de défendre les survivants amassés sur la péniche. Seules les pires blessures les arrêtaient. Certains, le ventre ouvert et les entrailles répandues au sol ou d’autres un bras tranché et se vidant de leur sang continuaient en hurlant de souffrance à frapper, attraper et mordre.

Depuis les rues en flammes, des quantités d’autres silhouettes couraient en tout sens, certaines elles-mêmes embrasées, dans un ballet fou de fuite éperdue où repérer qui était Enragé ou pas était une gageure. Mais entre fuyards et malades, la masse grouillante qui tentait d’accéder à la péniche enflait de plus en plus.

Un second ordre de Jawaad donna le signe du feu roulant. Damas avait lancé son fusil à un marin, et courait vers la chaloupe, où se précipitaient déjà les premiers survivants de la péniche. La cohue menaçait déjà de faire tomber du monde à l’eau, et c’est suivi par plusieurs hommes de bord, que le Jemmaï commença à faire monter les rescapés à bord. Leurs cris et suppliques s’ajoutaient au vrombissement des flammes pour couvrir pratiquement tous les ordres de Damas, et les déflagrations des fusils achevaient de rendre sourd tout le monde :

— Les enfants en premier ! Personne de plus de trois ans sans symbiote ne doit monter à bord !

Sianos profitait de sa large carrure à la fois pour aider les premiers réfugiés à traverser l’espace mouvant de la péniche à la chaloupe jusqu’à la Callianis, mais aussi pour bloquer les mouvements de la petite foule qui, saisie de panique, essayait désespérément de monter à bord au plus vite. Mais même avec l’appui de ses camarades, la tâche s’annonçait ardue :

— Chacun son tour ! Montrez vos symbiotes ! Celui qui ne le montre pas finit à l’eau !

Malgré tous les efforts des marins, cela s’annonçait peine perdue. S’il n’avait fallu que quelques instants pour embarquer les jeunes enfants et quelques mères et sœurs ainées, la pression de la foule terrorisée devenait ingérable. Sur les quais, les derniers hommes et femmes à faire barrage contre les Enragés reculaient sous leur masse qui ne cessait de grossir. Le feu roulant des impulseurs creusait sans trêve dans la foule démente des sillons de sang et de viscères, mais les tireurs eux-mêmes commençaient à être saisis d’horreur, tandis que leurs balles fauchaient à l’aveugle, tuant aussi bien malades que bien-portants.

Jawaad avait renoncé à la prudence pour venir prêter main-forte et attrapait les rescapés suppliants pour les hisser à bord, immédiatement entrainés par d’autres marins vers les ponts inférieurs et la cale, dans un brouhaha de pleurs et de panique. Mais Damas depuis la chaloupe, luttait maintenant corps-à-corps avec les autres réfugiés qui affluaient comme une marée humaine saisie de terreur. La péniche, totalement déséquilibrée, commençait à prendre l’eau, et déjà plusieurs personnes venaient de tomber et étaient emportés dans les courants.

— Jawaad ! On n’y arrivera pas !

— Je sais ! Sauvons-en un maximum !

Sur les quais, le rempart des derniers défenseurs cédait, ouvrant la voie à la marée démente des Enragés, provoquant une onde de panique de la péniche qui enfla jusqu’à bord de la Callianis elle-même secouée en tout sens. Sianos hurlait de plus belle, faisant rempart de sa masse avec l’aide de Damas et des marins de la chaloupe, mais ils étaient débordés.

C’est alors qu’une déflagration, roulant comme un coup de tonnerre prodigieux, vint écraser les hurlements, les cris et le mugissement des flammes. A la même seconde, l’entièreté des quais et de la masse des Enragé explosait en éclats de bois et en lambeaux de chairs sous les impacts des boulets qui venaient de les ravager.

Derrière la Callianis, dans le rugissement de ses moteurs à lévitation poussés à leur maximum, le Défiant dominait le port à près de huit mètres de haut. Secoué par la salve qu’il venait de lâcher, le galion tangua dangereusement. Mais son équipage, solidement arrimé au bastingage, lançait déjà un feu nourri sur ce qui restait de la masse grouillante des Enragés.

***

Le prêtre explosa de rage, alors qu’il venait d’abattre son fouet sur Sonia :

— Sale chienne ! Comment oses-tu, animal ?

Celle-ci, faisant remarquablement mine d’ignorer l’interjection de l’Ordinatorii, poussa du pied Azur, comme s’il s’agissait d’un sac, vers Lilandra, avant de se retourner.

— Ho, moi, voulez-vous dire, maitre ? Hé bien, si j’ose, c’est pour accomplir la tâche que m’a confié mon maitre.

— Quelle tâche peut bien te donner l’arrogance de te mettre entre moi et la fille que je châtie, esclave !

— Celle d’éduquer, ô maitre. Je suis distraite, je n’ai pas du voir votre fouet, sans doute. Ces deux animaux sont sous ma charge, je suis éducatrice.

Lilandra cligna des yeux totalement décontenancée. Regardant autour d’elle, elle réalisa que les gardes étaient en train d’observer Sonia et discutaient entre eux assez vivement. L’éducatrice avait clairement réussi à distraire tout le monde, et la femme-médecin tira sur les cheveux de Lisa pour la faire passer derrière elle, tandis qu’elle se penchait pour attraper Azur de la même manière, attendant le bon moment pour s’éclipser.

Sonia entrevit le geste, et lâcha un sourire amusé et satisfait, faisant au passage un clin d’œil vers Lisa. Elle fut forcée de se retrouver à nouveau nez à nez avec le prêtre, celui-ci venait de saisir son épaisse chevelure noire et l’attirer à lui violemment.

— Et qui est donc ton maitre ?

Sonia lâcha un soupire ambigu, qu’on aurait pu croire aussi bien de douleur que de plaisir alors que l’Ordinatori tirait encore :

— L’homme assez fou pour réussir à me tenir en laisse, ô maitre. Et celui qui y parvient en ce moment se nomme Damas.

— Impertinente, arrogante et insultante ? Tu fais honte à ton maitre, esclave et…

Sonia interrompit le prêtre d’une suave et vénéneuse :

— Ho non, bien au contraire. Il adorerait ce que je fais à cet instant !

Azur venait à son tour de se réfugier derrière Lilandra, assommée par les coups de fouets. Lisa l’attrapa pour la serrer contre elle et se redresser prudemment en la soutenant. Lilandra faisait mine de ne pas s’en occuper, concentrée à suivre l’échange entre l’Ordinatori et Sonia.

L’homme ne parlait plus, il hurlait, le visage empourpré de rage :

— Je vais te trancher la langue moi-même pour t’apprendre le silence, sale garce ! Un couteau !

Il tendait déjà une main pour attendre qu’on lui tende l’instrument, tenant toujours Sonia par les cheveux, tirant violemment pour la forcer à s’agenouiller. Et soufflant de douleur, mais sans jamais quitter son expression de morgue arrogante au sourire pervers, celle-ci lui résistait.

Lilandra sentit la moutarde lui monter au nez et renoncer à l’idée de s’éclipser furtivement. Elle aboya soudainement :

— Il n’en est pas question, Ordinatori !

L’homme fut si surpris de la réponse que pour une seconde, il en resta coi, complètement désarmé, avant d’exploser de plus belle :

— Tu ose me dire ce que j’ai le droit de faire, femme ?

Brutalement, la tension au sein de l’escorte du représentant de l’Eglise devint palpable. Les gardes civiles qui jusque là se demandaient si la féline esclave san’eshe n’était pas la fille qui avait quelque jours auparavant semé la zizanie au sein de la cité s’approchèrent eux aussi, soudainement sur le qui-vive, et les spectateurs commençaient à reculer prudemment.

— J’ose vous rappeler à la loi de notre cité, à laquelle tous sont soumis, y compris et surtout des invités dans ses murs, et dont je suis, moi, Lilandra de la Noble Maison Aklimidès, représentante ! Nul ne peut ni détruire ni abimer la propriété d’autrui librement sans encourir les foudres de notre justice. Cette esclave appartient à l’un des compagnons de Jawaad d’Armanth, Maitre-Marchand invité dans la cité de Mélisaren tout comme vous, et nos lois protègent ses propriété comme elles protègent les vôtres !

Le prêtre perdit immédiatement le peu qui lui restait de sang-froid. En un pas, il fut sur Lilandra, la giflant avec assez de violence pour que Lisa doive la retenir de chuter au sol.

— Dois-je te fouetter toi aussi pour te faire taire, catin ?

C’était une erreur, mais l’homme, complètement fou de colère, ne le comprit que trop tard. Les gardes avaient tout entendu, et eux aussi approchèrent vivement, mains sur leurs armes. Leur chef, un sergent qui a cet instant aurait tout de même vraiment aimé être ailleurs s’interposa :

— Au nom de la garde, tout le monde se calme !

Le sous-officier se tenait campé devant toute l’escorte du prêtre, main sur la garde de son épée, toisant le groupe avec tout ce qu’il pouvait d’autorité :

— La loi est claire, et je suis ici pour la faire respecter, votre grâce ! La dame la citait à raison, et on ne frappe pas une princesse de notre honorable aristocratie ! Passez votre chemin sans insister, où je serai dans l’obligation de vous faire raccompagner aux portes de la ville par les armes !

Le sergent se sentit rassuré. Ses hommes le suivaient et l’un d’eux faisait reculer Lilandra et les deux esclaves qui l’accompagnaient. Seule restait entre les gardes et l’escorte de l’Ordinatori Sonia, que ce dernier avait lâchée, mais qui semblait se régaler d’assister à la scène.

Le prêtre tremblait de colère, les veines des tempes palpitantes mais il était au pied du mur :

— Soit, soldat. Mais je saurais me rappeler de vous et de cette femme et en faire mention auprès de nos instances. Quand à cette chose infâme, dit-il en désignant Sonia, j’exige qu’elle soit mise à mort !

Le sergent fit un non de la tête, tout en faisant signe avec autorité à l’éducatrice d’approcher :

— Je suis navré votre grâce, mais je ne peux pas accéder à votre exigence, et je ne tiens pas à répéter encore pourquoi. Jusqu’à ce que nous ayons signalé la faute à son propriétaire, cette esclave sera mise en cage à la capitainerie où un magistrat statuera avec son maitre de la sanction à infliger et des réparations à honorer.

Sonia approcha, tirant un autre sourire inquiétant de satisfaction, jetant à peine un regard vers Lilandra, qui, quand à elle, lui fit un petit signe de tête de remerciement avant de suivre, avec Azur et Lisa, le garde qui se proposait à raccompagner. L’éducatrice se fit joueuse et enjôleuse devant le sergent :

— Mon maitre va être fâché de la nouvelle, maitre.

— Ca, c’est pas mon problème. Maintenant, tout le monde retourne à ses occupations, l’incident est clos. Quand à toi, tu me suis, et t’as intérêt à filer droit !

***

Les deux groupes d’assaillants gisaient maintenant dans leur sang, étalés sur les dalles du hall de la villa. Abba était affalée contre une des colonnes, Raego à ses coté. Le géant ne tenait plus debout. A la porte de la cuisine, Alterma rechargeait son fusil, flanquée d’Airain qui entassait des flacons d’alcool fort, une torche à la main, aidée par Joran qui tout en paniquant complètement, faisait de son mieux pour se rendre utile.

Raego, le souffle court, ne pouvait que constater que la force de frappe que constituait Abba, était hors d’état. Le colosse noir pissait le sang et son teint devenait grisâtre.

— Ce n’est pas pour vous démoraliser, mais s’il y en a d’autres, on est morts.

Abba grommela :

— Il y en avait d’autres. Mais j’ai entendu des cris dehors, du bruit, juste avant que ceux-ci ne nous tombent dessus. On devrait tous être déjà morts !

Alterma héla le duo :

— Ne restez pas là, venez !

— Impossible, répondit Abba. Je ne pourrais plus bouger. Raego, je ne sais pas ce que tu fous là, mais emmène Alterma et nos esclaves. La porte au fond de la cuisine s’ouvre sur le jardin potager, avec un peu de chance…

— Laisse tomber. Je serai eux, j’aurais bouclé toutes les issues et j’attendrais tranquillement le premier qui pointerait son nez. Et puis… On ne va pas te laisser là.

— Depuis quand tu te soucie de moi ?

— Hé bien, d’abord, ça ne se fait pas. Ensuite t’es pas un si mauvais hôte, finalement, et enfin si je te sauve la peau, tu me seras redevable, non ?

— Abba, Raego a raison, il n’est pas question de vous laisser là.

— Femme, ce n’est pas une demande c’est un ordre, arrête de…

Le géant fut interrompu par de puissants coups donnés à la grande double porte du hall. Des coups qui, de la manière la plus incongrue, étaient frappés comme si un visiteur cognait à la porte.

— Quoi ?

Raego fit une tête surprise :

— Ca c’est fort. Ca ne peut pas être eux qui viennent nous demander d’ouvrir ?

— Il n’y qu’un moyen de le savoir !

— Alterma non, je t’interdis … !

Mais la jeune femme, tenant toujours son fusil en main, se dirigeait vers la porte d’entrée, en longeant prudemment le mur du hall. Raego commenta :

— C’est pas une mauvaise idée tu sais ?

— Ha toi, l’encourage pas, hein ! Joran ? Airain, non vous n’y allez pas !

Abba fulminait, mais pourtant, les deux esclaves suivaient la comptable pour venir si besoin lui prêter main-forte. Arrivée à la porte où cela tambourinait toujours, et alors qu’Airain tendait sa torche à Joran, Alterma leva un peu la voix :

— Qui est là ? Identifiez-vous !

La voix qui répondit, étouffée, était grave, et assurée, bien qu’un peu essoufflée :

— Vous n’avez plus rien à craindre, madame, nous sommes les secours ! Nous venons de neutraliser vos agresseurs !

— Je m’en fiche de savoir ce que vous avez fait, je vous remercierai après ! Identifiez-vous !

— Ce sont les Séraphins, madame !

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4 réflexions sur “10- La Rage

  • Y’aura sûrement des corrections et modifs à faire sur ce chapitre, mais vous me direz ce que vous en pensez !

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  • editionsstellamaris

    J’adore, Axelle ! Des scènes très différentes les unes des autres, mais toutes géniales ! A commencer par l’entretien entre Anis et Duncan… Quand à Sonia, elle n’a pas fini de nous étonner, je crois ! Bises !

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    • Bon, alors je em suis peut-être pas planté sur ces trois récits croisés, ouf !

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  • Je confirme, Sonia a pas mal de quoi étonner encore le lecteur ! Mici en tout cas.. c’est un gros chapitre…. le plus gros que j’ai écris, j’ai crains de me planter.

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