Chapitres 9-12Livre 1

Chapitre 12-  Franello

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La discussion n’eut pas lieu de suite : Abba, très en colère, très trempé aussi, revint à la villa de Jawaad en traînant Raevo par les cheveux. L’espion blessé, que chaque cahot sur le sol secouait en ravivant la douleur de sa plaie, trouva le trajet bien assez difficile à endurer pour être convaincu de collaborer rapidement. Damas suivait l’esclavagiste et calma les foules quand les deux hommes se retrouvèrent mêlés à tous ceux qui s’étaient lancés à la poursuite du rôdeur. Tous étaient nerveux, trempés et, pour beaucoup, agacés, ne sachant pas trop après quoi on les avait envoyés courir. Il fallut l’appui et toute la persuasion d’Abba – ce qui impliqua de parler très fort, de rouler des muscles et de rappeler qu’il pouvait casser en deux la plupart de ses interlocuteurs sans forcer – pour que Raevo échappe aux envies soudaines de lapidation des vigiles et des habitants du quartier, très mécontents d’avoir dû prendre la tempête à cause d’un intrus. Quand l’esclavagiste eut enfin rejoints la villa de Jawaad avec son fardeau qui, épuisé, n’en menait pas large, il était pour le moins de méchante humeur.

 


La tempête redoublait, le tonnerre se déchaînant avec assez de force pour que parfois on en ressente la vibration de l’air et, qu’aux fenêtres, les carreaux tintent ; un temps à rendre craintivement superstitieux. Abba, qui l’était largement, triturait son collier de perles d’os orné de nombre de médailles et fétiches où, en bonne place, trônait l’effigie du Concile, un simple anneau d’argent. Damas, même s’il l’était nettement moins, frottait malgré tout du pouce l’écaille de baleine qui ne quittait jamais sa ceinture. Autant mettre la chance de son côté, aurait-il pu songer, même pour une simple tempête, que les érudits prétendaient n’être qu’un phénomène naturel et en rien une expression de la colère divine. Mais qu’en savaient véritablement les savants, après tout ? Jawaad quant à lui, affichait comme toujours une quasi-indifférence à l’orage qui, zébrant le ciel, éclairait régulièrement le cellier d’un éclat bleu qui semblait éteindre les chandelles chargées de l’illuminer un peu. Face à lui, Raevo, appuyé sur de vieux sacs de jute, avait autre chose à penser qu’à l’orage. La foudre et la peur des dieux ne le concernaient guère lui non plus ; il était blessé et il jouait sa vie.

— Bon, je vous ai tout dit. Écoutez, Jawaad, je n’ai aucune raison de mentir. Mon boulot est compromis, votre… heu… enfin l’autre, là, – il désignait Damas du menton – m’a épinglé comme un papillon. Je pisse le sang, je n’irais pas loin sans soins et mon seul salut, c’est de tout vous dire en comptant que vous n’avez finalement pas intérêt à me tuer… non ?

Le maître-marchand posa son regard sombre sur l’espion mal en point. Jusqu’ici, il n’avait pas fait un signe pour le faire soigner mais Azur était à ses côtés, portant déjà de quoi s’occuper sommairement du blessé. Elle attendait l’ordre de son maître.

— Je pourrais et faire disparaître ta dépouille, personne n’irait venir me poser des questions sur ton sort.

— Mais je vous ai tout dit ! L’homme qui m’a embauché, c’est Narwin Callimus ! Mon boulot était de suivre vos déplacements, d’apprendre vos habitudes, de savoir à quel moment on peut vous trouver et où ! Je n’y suis pour rien, ni pour les spadassins de la taverne, ni pour l’accident sur le chantier naval. Moi, mon boulot, c’est d’espionner les gens, pas de les tuer !

— Narwin Callimus, que sais-tu sur lui ?

— C’est un administrateur des taxes portuaires ; un vieux gratte-papier dont on ne se méfie pas, juste un comptable. Je n’ai jamais entendu quoi que ce soit à son sujet qui pourrait expliquer pourquoi il vous en veut ! Tout ce que je sais, c’est qu’il est employé par la Maison Marchande de Naa’shetim pour le compte de l’Élegio, qu’il y est vu comme un médiocre bonhomme sans fard, mais qui fait bien son travail. La seule chose digne d’intérêt… enfin, je veux dire, à part qu’il m’a engagé pour vous surveiller depuis plus d’un mois, c’est qu’il cache bien sa parenté avec Franello.

La pause théâtrale dans l’explication fit sortir Abba de ses gonds. En deux pas, il était sur le blessé et beugla d’une voix qui aurait pu arrêter toute une phalange en marche :

— Qui est-ce ? Dis la suite ou, par les Hauts-Seigneurs, je vais te vider la panse comme une brebis et te laisser crever à regarder ton propre foie sécher à l’air !

Raevo sursauta et recula dos à un tonneau en voyant le colosse le charger, ce qui dans le mouvement n’arrangea pas sa blessure, lui arrachant un cri rauque et étouffé. Jawaad ne fit pas un geste et Damas ne réagit pas plus. Il valait mieux ne pas se mettre entre Abba et sa proie quand il était en colère. Raevo glapit sa réponse :

— Un Ordinatori ! Un prêtre du temple ! Il est au service de l’Espicien, c’est son prévôt. Je n’en sais pas plus, ce n’est pas mon client que je devais espionner, mais Jawaad, moi !

Le maître-marchand fixa un instant, toujours aussi calmement, Damas, qui était appuyé contre la porte du cellier, et qui à la mention de l’Ordinatori avait immédiatement posé sur son patron un regard lourd de sens. Jawaad revint river ses yeux noirs, plus sombres et durs, maintenant, sur Raevo.

— Tu devais m’espionner, mais tu as nécessairement pris le temps de te renseigner pour assurer tes arrières si les choses tournaient mal, comme maintenant.

Jawaad jeta un rapide coup d’œil sur Azur. Celle-ci, rendue nerveuse par la colère d’Abba, qu’elle craignait beaucoup, et la soudaine tension perceptible chez son maître, avait du mal à lire aisément les pensées de Raevo sur ses traits, mais elle répondit à son maître d’un léger signe de tête négatif. Le marchand reprit :

— Quel est ce lien de parenté, et en quoi cela m’intéressera-t-il assez pour que je te laisse vivre ?

Raevo se tenait toujours appuyé dos au tonneau et trouvait la proximité colérique d’Abba plus difficile encore à supporter que la douleur de sa blessure ; mais il sentait surtout ses forces l’abandonner et il n’était pas sûr, s’il s’évanouissait maintenant, qu’il se réveillerait jamais :

— C’est… c’est son demi-frère, un bâtard que son père a eu avec une houri des bains de Squalia. Franello l’a appris je ne sais pas trop comment ; par sa mère, je pense. Ça, je n’en suis pas sûr, mais à mon avis, il fait chanter son frère ou lui a promis des trucs en échange de ses services. Je n’ai pas été y voir de près, je vous l’ai dit, je n’étais pas payé à l’espionner. Heu… s’il vous plait, je veux bien vous aider, mais là, je vais plus tenir longtemps…

Raevo commençait à avoir le teint clairement cireux. Jawaad fit un signe de tête pour Azur qui se précipita vers le blessé pour commencer à s’en occuper, rapidement assisté d’Abba, après un regard de reproche sur son patron. Le géant l’aurait bien achevé sans discuter, mais l’homme avait été utile et, s’il pouvait l’être encore, il valait mieux qu’il survive à sa blessure. L’espion décida alors, un peu à son corps défendant, que c’était le moment idéal pour s’évanouir.

Jawaad laissa Azur et Abba s’occuper du blessé. Il lui faudrait un bon médecin au matin, mais pour le moment il savait pouvoir compter sur son esclave et son second pour maintenir l’homme en vie. Il rejoignit son bureau, suivi par Damas. Rallumant la lampe de chevet au passage, il dédaigna son propre fauteuil et s’appuya à l’une des colonnes qui s’ouvraient sur la terrasse, croisant les bras en posant le regard sur la nuit pluvieuse. L’orage s’éloignait. Damas brisa le silence, se calant quant à lui contre le mur.

— Ce n’est plus une querelle de marchands, Jawaad. On peut ruiner ou tuer un maître-marchand, mais là, c’est un Ordinatori, et le prévôt d’un Espicien ! On ne peut pas le toucher…

Jawaad resta plongé dans son silence pour un moment qui fit presque s’impatienter Damas, avant de répondre enfin, toujours en fixant la pluie.

— Tu sais ce que cela veut dire ?

— Je pense, oui. La question serait : que sait-il et pourquoi essaie-t-il de te faire tuer discrètement sans éveiller les soupçons, plutôt que se servir de ce qu’il sait pour convoquer un tribunal ? Même l’Élegio ne pourrait pas l’empêcher.

— Il n’en sait pas assez ; le Conseil se ferait plaisir à prendre mon parti et casser un procès. Je lui serai alors redevable et devrais accepter de siéger, et ce Franello chuterait, lui et ce qu’il sait. Il a malgré tout choisi d’agir en secret ; pourquoi ?

— Il faudrait le lui demander, on navigue sous un ciel d’encre, là.

Damas se figea, presque interdit devant le sourire qui naquit sur le visage de son patron, quand celui-ci se tourna vers lui. Le regard de Jawaad se fit plus sombre encore. Et ce regard annonçait des complications que le Jemmaï redoutait un peu.

 


Sonia était affalée sur une des fourrures épaisses et chaudes qui ornaient le sol de la chambre de Jawaad, fixant dans la pénombre le plafond, bras sous la nuque. Sa laisse de maillons d’acier était solidement cadenassée à l’un des anneaux du lit, ce qui ne l’aurait guère arrêtée, pas plus que les fenêtres barrées de fines grilles. La sécurité du maître-marchand était plutôt sommaire et pour avoir déjà faussé compagnie à la surveillance de gardes féroces dans des geôles souterraines réputées inviolables, ce n’était pas réellement une chaîne, quelques serrures et une grille qui auraient freiné l’éducatrice ; tout du moins, tant qu’on ne la fouillait pas en la mettant totalement nue et hors de portée de toute ce qu’une chambre aurait pu contenir pour aider son évasion. L’idée lui avait d’ailleurs traversé l’esprit, mais elle serait alors esclave en fuite. Si elle parvenait à échapper aux chiens de Jawaad, ce qui n’était vraiment pas assuré, elle ne pourrait pas fuir indéfiniment ; elle serait pourchassée, quoi qu’il arrive et de toutes manières, dans quel intérêt ? Elle avait été libre, un jour, elle s’en souvenait ou, tout du moins, elle se rappelait l’avoir été ; mais la liberté n’avait plus aucun sens pour elle. Du moins, pas celle-ci, recherchée et chérie par les hommes et les femmes, regrettée et pleurée par les esclaves. La sienne était dans son absence totale de remords, dans l’animalité sans chaînes de sa féminité, dans l’ignorance complète de tout doute. Elle n’aurait pas su quoi faire de sa vie une fois affranchie sauf, peut-être, y mettre fin.

L’orage avait cessé depuis peu, mais pas la pluie, qui tombait dans un ruissellement aux allures de petite musique berçante. Elle entendit cependant les pas de l’homme qui approchait de la chambre et tournait déjà la tête quand il entra dans la pièce plongée dans l’obscurité. Jawaad jeta un regard sur l’esclave allongée sur les fourrures, et, sans s’en soucier, se dirigea vers le chevet du large lit bas pour y allumer le chandelier, qui éclaira la pièce d’une lueur vacillante. Puis, se laissant choir sur les draps lourdement, il retira nonchalamment ses bottes, sans un mot ; mais Sonia pouvait parfaitement sentir son regard attentif et scrutateur peser sur elle. Elle glissa de côté, dans un mouvement félin, pour se mettre sur le ventre, s’exposant négligemment avec une lascivité effrontée, rendant au maître-marchand un regard langoureux et joueur.

— Le maître a-t-il appris des choses intéressantes ?

Sa voix était faussement mielleuse et suave. Jawaad prit son temps pour répondre, fixant toujours la superbe femme qui, en réponse, ondulait légèrement sur la fourrure dans un jeu de séduction instinctif.

— En quoi cela regarde-t-il une esclave ?

— L’esclave démontre l’intérêt qu’elle porte à ce qui soucie le maître…

— Tu ne te préoccupes que de ton intérêt ; mais tu m’as été utile, ce soir et tu vas encore l’être. Demain, je te ramène à ton maître, tu vas me servir ; et je tiendrai ma promesse de récompense.

Sonia tiqua à la réponse avant de s’étirer de tout son long dans une imitation, brûlante d’érotisme, de reptation animale, exposant avec une innocente feinte son dos rougi et lacéré par les marques du fouet avec lequel Priscius l’avait longuement et brutalement corrigée. Elle reprit, la voix toujours plus sensuelle :

— Me ramener à Priscius va rendre les choses plus compliquées pour que le maître tienne sa promesse. Il est probable qu’il m’enchaîne pour longtemps, après m’avoir encore fouetté, au sang, cette fois…

Jawaad ne montra pas la moindre émotion :

— Si tu as les qualités auxquelles tu prétends, ni l’une, ni l’autre de ces complications ne vont te poser problème. Mais si tu doutes, je peux retirer ma parole, esclave ?

Sonia tiqua encore. Même sans la psyké du maître-marchand, il était malaisé de négocier avec lui, ce qui lui arracha un sourire presque cruel ; elle s’en amusait, et préférait cela à s’en inquiéter. Elle pressentait que Jawaad, sans rien avoir demandé, avait désormais clairement une idée précise de ce dont l’éducatrice était capable. La seule chose qui lui échappait était la confiance tranquille qu’il semblait avoir à cet instant. Après tout il était menacé de mort et elle aurait pu être un autre piège mis sur sa route pour l’assassiner. Sa duplicité – elle était sûre que le maître-marchand en avait pris la mesure – l’aurait parfaitement rendu capable de commettre un tel acte ; mais pour réussir son plan, elle devait gagner sa confiance ou tout du moins lui donner envie de considérer qu’elle était de valeur et digne d’intérêt pour lui.

— J’ai, bien entendu, la même confiance en la parole du maître, que lui envers la mienne.

Jawaad se laissa tomber finalement dos sur le lit, pour s’y allonger pleinement, passant la main sur la flamme de la chandelle pour l’éteindre.

— J’en doute. Maintenant, dors !

Pas à un seul instant, son regard n’avait suggéré la moindre attirance pour l’esclave qui lui présentait pourtant sans équivoques ses charmes de toute sa sensualité ravageuse. Même en ayant pris son parti de sa totale insensibilité à ses tours, Sonia ne put en retenir un bref soupir dû à la frustration charnelle qui la tint éveillée, dans le noir, un long moment.

 


Narwin Callimus avait pour habitude d’avoir des nouvelles de ses espions tous les deux jours au matin, en allant prendre son morne poste au Bureau Portuaire des Rentes, Taxes & Collectes. Des nouvelles écrites, déposées dans une urne de terre cuite parmi d’autres oubliées de belle lurette, au milieu des détritus d’un quai du Radia Ambra. Ainsi, sauf à être très curieux et même s’il pouvait perdre quelques rapports dans l’éventualité hautement improbable d’un hypothétique nettoyage de la rue, faire le lien entre ces documents et sa personne aurait été malaisé. S’il avait été véritablement versé dans le métier de l’espionnage et de l’intrigue, il aurait sans doute trouvé le moyen de coder les rapports ; mais, d’une part, cela ne lui avait pas réellement traversé l’esprit, d’autre part, il avait déjà été assez ardu de trouver et embaucher des spécialistes de la filature qui sachent lire. Il avait découvert avec surprise et agacement que, non, ce n’était pas une compétence si répandue et qu’il était dans ce domaine un privilégié. Il n’avait jamais songé à réfléchir sur le fait que la majorité des habitants d’Armanth composant le petit peuple des artisans, ouvriers, fermiers et servants est illettré, simplement parce que tous ces gueux ne comptaient guère plus que comme un décor pénible à ses yeux.

Aussi bien, naïvement, le vieux fonctionnaire, pour qui la situation s’approchait un peu d’une aventure mettant quelque piquant dans sa vie monotone, ne prenait pas beaucoup de véritables précautions quand il venait vider l’urne de son contenu. C’est un peu ébahi qu’il arrêta son geste alors qu’il se penchait sur le tas de poteries oubliées ; une ombre venait de se découper au-dessus de lui. Il tourna la tête, intrigué et son teint un peu blafard de comptable rachitique blanchit immédiatement. Jawaad le toisait, grattant négligemment sa courte barbe drue, son autre maintenant la laisse du collier de Sonia qui trônait derrière lui, sculpturale et arrogante dans l’air frais et humide que charriait le léger vent de la baie. Et à sa droite se dressait, ses bras de colosse croisés sur sa poitrine massive, Abba qui le fixait avec une colère presque palpable, une veine gonflée à son front.

Narwin manqua de s’effondrer dans le tas de détritus où était dissimulé l’urne et tenta aussi prestement qu’il en était capable de fuir au plus vite sur le quai, déjà bien fréquenté de bon matin ; mais Damas l’y attendait déjà, s’approchant l’air de rien, faisant, presque joueur, un non de la tête. Un regard de l’autre côté du quai lui fit renoncer dans un gémissement pitoyable à toute échappatoire : deux marins avançaient eux aussi négligemment vers lui. Toute retraite était coupée. Abba s’avança, attrapant brutalement le comptable au col. Il aurait fallu un cric pour faire céder son bras.

— Ce n’est pas pour me répéter, mais toi, faut qu’on cause !

Narwin glapit de terreur :

— Haaa ! Ne me touchez pas, ou je crie !

Jawaad étira un sourire, fixant l’homme qui, les deux mains sur l’avant-bras de son second, essayait vainement de se dégager.

— Vas-y, crie et Abba te brise la nuque. Tu sais très bien, tu es fonctionnaire, tu connais donc bien les lois, qu’on ne pourra retenir un crime de sang si je me porte garant de mes hommes. Tu me coûteras, quoi, une poignée d’andris en amende et quelques heures perdues dans un tribunal ?

Les passants, juste au-dessus du petit groupe, regardaient la scène avec une certaine curiosité, rapidement découragée cependant par la stature du géant noir qui malmenait le comptable et par les deux marins et Damas qui fixaient hostilement les curieux, faisant rempart entre leur patron et le reste du quai. Quelqu’un finirait bien par prévenir la garde du quartier, mais on pouvait compter quelques très longues minutes avant leur arrivée. Damas y avait veillé, avant de repérer les lieux décrits en détail par Raevo. Une demi-douzaine d’andris dans la main du sergent de permanence avait assuré qu’il répondrait avec un zèle tout relatif à quelque signalement d’un désordre public de ce côté du Radia Ambra.

Jawaad étira un sourire.

— Mon second t’a dit quelque chose, non ?

Abba soufflait, menaçant, approchant l’homme chétif de son visage bestial. Ce dernier ne tenait plus debout que par la pointe des pieds. Le comptable hoqueta.

— Heu… oui, oui, heu… C’est moi qui vous fais espionner, mais je n’y suis pour rien ! On m’a forcé la main, tout ce que je faisais, c’était l’intermédiaire ! Je prends les rapports, je les copie et je les transmets ! Rien d’autre, juré ! Par les Hauts-Seigneurs, je vous jure que je ne suis responsable de rien d’autre !

Jawaad acquiesça, gardant l’œil sur Damas qui, malgré les précautions précédemment prises, faisait vigile ; une mauvaise surprise pouvait toujours arriver. Derrière lui, Sonia plissait les yeux au spectacle, regardant avec un délice évident la terreur du comptable face à la puissance bestiale d’Abba.

— Je sais tout cela, Narwin Callimus, reprit le maître-marchand ; mais tu vas faire quelque chose pour moi, et tu vas le faire proprement. Si tu t’acquittes de ta tâche, je vais peut-être songer à ce que tu vives encore quand cela sera fini.

— Mais, heu… Oui ?… Heu, vous voulez que je fasse quoi ? Je peux tout vous dire, promis !

— Inutile ; Damas va t’accompagner et tu vas donner rendez-vous à ton demi-frère. Tu suivras à la lettre toutes les indications de mon maître d’équipage ; si jamais tu commets la moindre bêtise, il te tuera sans hésiter.

Le comptable donna l’impression qu’il se décomposait, littéralement.

— Mais il va se douter que c’est un piège, je ne pourrai jamais le convaincre !

— Suis les consignes de Damas à la lettre et si tu n’arrives pas à persuader ton frère, eh bien, tu mourras.

Abba relâcha Narwin, le repoussant légèrement. Le comptable faillit chuter sur les ordures, tenant à peine debout, le teint livide de peur, tandis que Damas lui faisait signe d’approcher. Jawaad fixait les environs. Aucun garde en vue, mais il avait été suffisamment peu discret pour alerter d’éventuels observateurs ; il comptait bien que ce fut le cas. Il étira un sourire, regardant s’éloigner le chétif fonctionnaire flanqué de Damas. Franello apprendrait tôt ou tard qu’il était démasqué et que le chasseur était en passe de devenir la proie. Abba interrompit sa réflexion.

— Tu joues un jeu dangereux. Je sais que Damas peut bien prétendre le contraire, lui adore cela ; mais moi pas. Si cet Ordinatori ne mord pas à l’appât, que feras-tu ?

— Le meilleur moyen de le savoir sera le moment venu. Pour le moment, j’ai une esclave à aller chercher…

Sonia, en retrait, esquissa un sourire pervers et satisfait. Jawaad aurait pu régler cette affaire sans qu’elle en soit témoin et elle se doutait qu’il avait choisi l’option de l’emmener avec lui à dessein. La curiosité de l’éducatrice en était ainsi piquée au vif et elle en goûtait le plaisir avec délice.

 

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