Wilfrid Hizembert est mon tit frère, un de mes meilleurs ami, et un romancier qui a à son actif plusieurs volumes dont la série La Cité des Mensonges. Exigeant et perfectionniste (vous avez même pas idée à quel point !) il dresse un avis complet des Chants de Loss après la lecture du premier tome. Un avis qui en fait me fait très plaisir !
(Attention c’est long et touffu, vous êtes prévenus)

« J’ai fini de lire le tome 1 des Chants de Loss et je te propose ci-dessous un petit compte-rendu critique qui, je l’espère, t’aidera dans l’écriture de la suite.

Sur le fond,
Comme je l’ai dit en commentaire dans le sondage que tu as fait, je trouve ce roman beaucoup trop encyclopédique. La prépondérance d’élément de background par rapport à l’histoire noie sévèrement le récit. Je suis conscient que tu veuilles poser ton décor, mais cela nuit grandement au rythme. Il y a des phases déjà très longues de description, notamment sur la torture et le ressenti des esclaves, ce qui est un peu le fer de lance de ce roman, mais ajouté à tout ce qui concerne la géopolitique, l’architecture, la géographie, la société, etc. ça fait beaucoup. Je pense qu’on peut arriver au même résultat avec moins de « posage ». Par ailleurs, beaucoup de ces éléments n’apportent rien au récit. Si tu les rappelles au moment où ils seront utiles (et tu le fais déjà pas mal dans Armanth), ça fait forcément redite.
Cela étant, il n’y a rien à redire sur ce décorum. Il me semble très cohérent, bien construit, et fort d’un background non encore révélé que l’on ressent dans l’écrit. C’est une bonne chose de mon point de vue. Je crois essentiel de chercher à raconter davantage l’histoire plutôt que le décors dans lequel elle se déroule.
J’imagine que les personnages ont encore beaucoup à nous apprendre mais dans l’ensemble je les ai trouvé un peu superficiel. Tu mets tellement l’accent sur Lisa dans ton récit que les autres sont des images qui bougent à côté. Autant je trouve la démarche acceptable du point de vue de Jawaad qui conserve ce qu’il faut de mystère et de secret, les autres sont abordés de façon très inégale. Par exemple, je ne comprends pas pourquoi la comptable, personnage très secondaire, se retrouve avec un profil pratiquement plus détaillé que Damas ou Abba qui sont des personnages essentiels. Ce que je souligne là, c’est la discordance entre la profondeur du personnage et leur importance dans le récit. Il n’est à mon sens pas nécessaire creuser un personnage qui n’a que 3 pages d’action par rapport à un autre qui en a 50. Et proportionnellement au récit, la profondeur de Lisa et l’intensité des actions qui la concerne sont aussi déséquilibré. A tel point que ton livre 1 aurait pratiquement pu porter le titre de Lisa plutôt que celui d’Armanth. Finalement, le seul personnage qui préserve, de mon point de vue, la bonne teneur profil/action c’est Jawaad.
A part ça, les personnages sont intéressants, sauf un : je déteste profondément le personnage de Lisa. Je n’arrive pas à lui trouver le moindre attrait. Je n’arrive pas à éprouver la moindre empathie envers elle. Je ne sais pas si c’est voulu, mais tu passes l’essentiel du roman à décrire Lisa comme un objet si bien qu’on finit effectivement par n’y voir qu’un objet. Mais voilà, en tant qu’objet, Stormbringer a plus de personnalité dans la saga d’Elric que ta Lisa n’en a. C’est donc un objet sans réel intérêt, et la seule chose qui lui donne de la valeur en somme, c’est l’intérêt que Jawaad lui porte. A mon avis, le problème de Lisa est qu’elle n’a aucune personnalité. C’est une boule d’émotions (et pas les plus intéressantes) brinquebalée dans le récit qui sert d’exutoire, d’intermédiaire ou de faire valoir à d’autres personnages. Ça va te paraître dur, mais je trouve qu’elle est d’une platitude consternante. Alors, si c’est ce que tu recherchais, tant mieux, mais dans ce cas, je trouve dommage d’y avoir consacré autant de pages.
Sur le sort des esclaves, j’ai beaucoup plus d’intérêt pour Eléna dont l’introspection aurait été beaucoup plus intéressante à raconter.
En dehors de cette remarque, les personnages et leurs décisions me semblent cohérents, sauf peut-être Sonia dont je n’ai clairement pas compris le projet. Ou alors j’ai cherché trop loin ce qui motive ses actes, ou bien quelque chose n’a pas été dit ou correctement décrit dans sa manière d’être et de penser.
Tout cela forme un ensemble qui tient la route mais qui manque un tout petit peu de souffle et de profondeur. Les jalons d’une intrigue de grande envergure sont posés, mais si ma curiosité naturellement m’entraîne vers la suite, je ne vois pas trop où ça mène. Surtout par rapport au pitch qui parle d’une « révolution » et dont on ne voit pas le plus petit bout d’un commencement dans Armanth. Au terme de ce tome, je ne suis donc pas du tout lancé sur cette idée. Dommage ? Pas dommage ? A toi de voir.
Sur la forme,
Outch… S’il y a eu beaucoup de progrès par rapport au premier jet que tu m’avais fait lire, tu cultives tout le long de l’ouvrage des défauts d’écriture gênants :
1 – Les phrases incompréhensibles. J’ai vu à plusieurs reprises des phrases à la construction aussi aléatoire que bizarre qui ne veulent rien dire. En général, ce genre de chose ne passe pas à la relecture. Quand tu vois trois sujets et deux verbes, ou des verbes et pas de sujet qui leur corresponde, dans une même phrase, ça doit immédiatement choquer. Une simple lecture à haute voix permet de repérer immédiatement ces problèmes. Il n’y en a pas tant que ça, mais on en trouve un peu partout.
2 – Les phrases interminables. Certaines phrases sont là pour faire mourir d’asphyxie quelqu’un qui voudrait faire un livre-audio avec ton ouvrage, je ne vois pas d’autres explications 😉 . Tu as triché à plusieurs endroits en isolant des morceaux derrière des tirets ou des points-virgules, mais il y a vraiment des moments où une lecture à haute voix est impossible, non seulement parce que la phrase est longue, mais aussi parce que la ponctuation n’est pas bonne.
3 – Attention à la ponctuation. J’ai dû rectifier de moi-même le sens de nombreuses phrases dont la ponctuation était absente ou mal faite. De la place d’une virgule dépend parfois le sens de tes propos.
4 – Inversion des actions. Je le signale comme un défaut parce qu’on m’a démontré par A + B récemment que ce n’était pas une façon claire de raconter les faits, mais composant moi-même et appréciant parfois de le voir ainsi, ce n’est pas toujours pour moi un problème. L’inversion typique d’action que tu emploies, c’est de décrire un résultat avant de décrire ce qui y a mené. Cette façon de faire soulève deux problèmes, l’un de compréhension, puisque tu prends le risque de perdre le lecteur, l’autre de rythme, parce que tu te retrouves à mettre au temps de la description (l’imparfait) ce qui aurait pu être conté au temps de l’action (passé simple). Exemple (non tiré de ton livre que je n’ai pas sous les yeux présentement) : « Il mourut. Son adversaire venait de lui trancher la gorge. » Remis dans le bon ordre et conté sous forme d’action, ça donne : « Son adversaire lui trancha la gorge. Il mourut. » Je conviens volontiers que c’est moins stylé, mais c’est plus rythmé.
5 – La voix passive. Attention aussi à l’usage de la voix passive. Ce n’est pas inintéressant de l’employer, mais trop, et le rythme en pâtit. Comme moi, tu as cette tendance à décrire l’action des objets ou des personnage à la voix passive, alors qu’on peut normalement presque toujours tout raconter à la voix directe. La voix passive est un effet de style et en abuser alourdit l’écriture.
6 – Le trafic de temporalité. Tu as, à plusieurs reprise dans ton récit, cherché à décrire des situations simultanées en isolant des blocs de récits pour raconter chacune d’elle. Cet exercice de style, mené de cette façon, me semble un peu confus. Il perd le lecteur dans les évènements dont on ne sait alors plus s’ils sont simultanés, se déroule l’un avant ou l’un après l’autre, ou encore s’il ne s’agit pas d’élucubration n’ayant rien à voir avec l’action immédiate. Pareillement, vers la fin, tu as fait comme dans un épisode de série télé, tu racontes une situation qui précède immédiatement le climax, tu coupes pour raconter ce qui se passe avant, et tu enchaînes ensuite sur le climax. Ça marche bien en série télé… moins en roman. D’autant que tu ne donnes pratiquement pas de repères temporel pour s’y retrouver. J’ai bien compris ce que tu cherchais à faire, essayant de ménager du suspens, mais la lecture étant un processus moins visuel et moins instantané que la vidéo, désynchroniser le sens de lecture et la chronologie des évènements est très perturbant et doit être évité.
Bon, ça paraît lourd comme ça, mais ça se corrige très facilement. Une écriture plus chronologique, plus simple et une relecture systématique à haute voix sont des bons moyens de circonvenir à ces écueils. Et quand tu veux faire des « flashback », n’hésite pas à les situer dans le temps, c’est plus facile à comprendre.
Par ailleurs, je souligne le fait que tu as un excellent vocabulaire et un vrai talent pour certaines formules. Tu arrives très souvent, en deux mots, à faire comprendre des concepts pour lesquels il en faudrait 10 à un écrivain moyen. Il est donc dommage de te voir assez souvent te perdre à en rajouter de tous les bords et à te compliquer la vie dans tes tournures parfois si alambiquée qu’elles en deviennent incompréhensibles. A mon sens, tu uses des mots justes à quelques très rares exceptions, sers toi de cet avantage pour rester claire dans tes propos. La longue phrase tordue est autant l’ennemi de l’écrivain que du lecteur.
Voilà voilà. Je pense que pour un premier jet, c’est plutôt encourageant. Ton histoire me paraît intéressante, et je n’ai pas été assez rebuté par ces défauts pour ne pas poursuivre. Avec un second tome plus séduisant, peut-être moins encombré de background, plus cerné d’intrigue et plus fluide et moteur en action, tu devrais accrocher définitivement tes lecteurs. J’espère que cette critique te sera utile.
Tu as tout mon soutien pour la bonne continuation de ton projet 🙂 « 

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